Passé inquiet au Palais de Tokyo à Paris

1er avril 2024 - ,
Passé inquiet arrive à un moment crucial, où la solidarité avec les vies et la culture palestiniennes fait l'objet de l'actualité quotidienne, mais est souvent controversée en raison de la rivalité entre la hasbara et les récits palestiniens. Les commissaires de cette exposition ont recousu des histoires transnationales, liées par la solidarité, dont les connexions avaient été pour la plupart perdues. Elles y présentent les réseaux d'artistes ambassadeurs du changement politique qui revendiquent la place de l'art au cœur de la vie quotidienne (dans les rues, les écoles et les espaces publics) et loin des privilèges de classe. On y découvre aussi tout ces liens entre les réseaux artistiques et militants qui considère que le changement politique doit être accompagné d'artistes.

 

Rasha Salti et Kristine Khouri

 

Passé inquiet est une exposition d'archives et de documentaires qui revisite les histoires et les univers croisés des pratiques militantes, artistiques et muséologiques liées aux mouvements de solidarité tricontinentaux et anti-impérialistes entre les années 1960 et 1980. À partir d'une recherche sur et autour de l'histoire de l' Exposition internationale d'art pour la Palestine, Passé inquiet retrace mille et une histoires d'artistes, de militants, de visionnaires et de rêveurs qui ont organisé des expositions, sont intervenus dans l'espace public et ont créé une forme très particulière de musée pour incarner les causes pour lesquelles ils luttaient, des musées solidaires, sans murs et le plus souvent en exil.

L'exposition se compose essentiellement d'histoires du passé, de coupures de journaux, de magazines et d'autres publications jaunies, dont la plupart ne sont plus en circulation depuis longtemps, de pamphlets proclamant des révolutions qui ont perdu leur ferveur et de photographies conservées dans des boîtes qui n'ont pas été ouvertes depuis des dizaines d'années.

Intérieur du Palais de Tokyo, Paris (photo Jordan Elgrably).
Intérieur du Palais de Tokyo, Paris (photo Jordan Elgrably).

Passé inquiet présente des histoires transnationales, liées par la solidarité, dont les connexions avaient été pour la plupart perdues. Cette expoisition cartographie les réseaux d'artistes ambassadeurs du changement politique qui revendiquent la place de l'art au cœur de la vie quotidienne (dans les rues, les écoles et les espaces publics) et loin des privilèges de classe. On y découvre aussi tout ces liens entre les réseaux artistiques et militants qui considère que le changement politique doit être accompagné d'artistes.Au cours de notre longue recherche, plusieurs histoires ont émergé, des événements politiques, des bouleversements, des révolutions et des actions des artistes, des expositions. La cartographie des connexions révèle une géographie qui remet en cause les canons de l'histoire de l'art de la seconde moitié du XXe siècle.

Dès le début du processus de recherche, nous avons rencontré les notions de musée en exil et de musée solidaire. Nous avons donc consacré beaucoup d'efforts à comprendre l'origine de ces deux notions et leurs mécanismes. Nous sommes donc parties sur les traces de quatre collections d'art aux histoires et intersections étaient très évocatrices. Il s'agit de :

  • l'Exposition internationale d'art pour la Palestine, présentée à Beyrouth en 1978 ;
  • le Museo Internacional de la Resistencia Salvador Allende (MIRSA), créé par des exilés chiliens et leurs partisans après le coup d'État de 1973 au Chili, ainsi que son incarnation précédente, le Museo de la Solidaridad, qui a existé de 1971 à 1973 ; 
  • le Museo de Arte Latinoamericano en Solidaridad con Nicaragua, à l'initiative du premier gouvernement sandiniste ; 
  • et l'exposition Art Contre/Against Apartheid qui a fait l'objet d'une tournée internationale dans les années qui ont précédé la chute du régime d'apartheid en Afrique du Sud.

Un musée solidaire est une collection d'œuvres d'art offertes par des artistes, un geste politique destiné à montrer leur soutien à un mouvement de libération nationale ou à une lutte pour la justice et l'égalité. Le musée en exil est souvent la forme qu'il prend : il vit en dehors du pays ou de la cause qu'il soutient, en exil et itinérant, jusqu'à ce qu'il puisse revenir ou rentrer "chez lui". Les collections de solidarité sont des modèles importants de muséologie qui ont été presque entièrement marginalisés dans les annales de l'histoire de l'art et des études muséales. Ces collections sont émancipées des systèmes de pouvoir et de mécénat auxquels les musées sont généralement soumis. Elles ne sont ni des symboles de richesse accumulée par l'exploitation d'êtres humains ou de ressources naturelles, ni des héritages du colonialisme. Elles représentent une interprétation tout à fait subversive des musées et leurs collections sont données au nom des peuples et non des gouvernements.


Sur les musées et la préservation du patrimoine culturel
Musées en exil - L'exposition de MO.CO pour le Chili, Sarajevo et la Palestine


Une version de l'histoire de la genèse del'Exposition internationale d'art pour la Palestine la relie directement à la MIRSA. Lors d'une célébration organisée par Politique Hebdo Ezzedine Kalak, représentant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, a rencontré des artistes chiliens exilés qui participaient à l'administration du MIRSA, et cette rencontre l'a incité à poursuivre une initiative similaire pour la Palestine. Deux autres collectes de solidarité ont également été inspirées par le MIRSA, avec lequel elles entretiennent des liens étroits. En solidarité avec le peuple du Nicaragua après le succès de la révolution sandiniste, le Musée d'art latino-américain en solidarité avec le Nicaragua a été créé par Ernesto Cardenal (à l'époque ministre de la culture du Nicaragua) et la conservatrice chilienne Carmen Waugh, qui avait joué un rôle important dans la création du MIRSA alors qu'elle était en exil. Waugh est ensuite devenue directrice du Musée de la solidarité avec Salvador Allende (MSSA), sa dernière et actuelle version après le rétablissement de la démocratie au Chili. La même année, les artistes Ernest Pignon-Ernest (France) et Antonio Saura (Espagne) ont créé en 1981 le Comité des artistes du monde contre l'apartheid, qui a rassemblé l'exposition "Art Contre/Against Apartheid". Art Contre/Against Apartheid qui a rassemblé la collection Art Contre/Against Apartheid et l'a présentée dans près de quarante villes à travers le monde entre 1983 et 1990. Les deux initiatives comprennent des œuvres offertes par des artistes qui ont également contribué à la collection MIRSA.

En plus de partager la même idée centrale, ces quatre musées en exil présentent de vraies similitudes en ce qui concerne les artistes qui y ont participé et les personnes responsables de leur organisation. Dans le cadre de cette mobilisation mondiale de voix éminentes pour encourager et soutenir la solidarité internationale, l'impact de l'initiative MIRSA a eu des répercussions dans le monde entier et dont les effets sont encore perceptibles aujourd'hui.

Nos recherches ont commencées avec l' Exposition internationale d'art pour la Palestine de 1978. Nous sommes tombés sur son catalogue par hasard  à la bibliothèque d'une galerie d'art à Beyrouth, et avons été intrigués par son ampleur et sa portée.  Environ deux cents œuvres ont été données par près de deux cents artistes de trente pays différents. Le texte principal du catalogue indiquait que ces œuvres d'art étaient destinées à constituer la collection de base d'un futur musée pour la Palestine. Organisée par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) par l'intermédiaire de sa section d'arts plastiques sous la direction de Mona Saudi, l'exposition a été inaugurée dans le hall du sous-sol de l'Université arabe de Beyrouth le 21 mars 1978.

Pourtant, cette exposition n'est mentionnée dans aucun livre d'histoire de l'art local, régional ou international. Elle n'est pas non plus mentionnée dans l'histoire des expositions.

Le 14 mars 1978, une semaine exactement avant l'ouverture de l'exposition, Israël a envahi le Liban, avançant au nord jusqu'au fleuve Litani et aux abords de la ville de Tyr pour stopper les incursions des commandos de l'OLP lancés depuis la frontière sud du Liban. L'incursion a duré une semaine et s'est terminée par une trêve négociée par l'ONU et le déploiement de forces de maintien de la paix parrainées par l'ONU pour superviser la mise en œuvre de l'accord. Malgré de graves problèmes de sécurité, Yasser Arafat a assisté à l'inauguration de l'exposition, accompagné des plus hauts responsables de l'OLP. En plus de l'intelligentsia de Beyrouth, parmi les visiteurs se trouvaient des combattants de base, des diplomates, des journalistes et une douzaine d'artistes internationaux, ainsi que le grand public. Dans un entretien enregistré à Ramallah, Ahmed Abdul-Rahman, alors chef du bureau de l'information unifiée de l'OLP, souligna l'importance d'inviter directement des artistes à témoigner de la réalité de la lutte. Claude Lazar a assisté au vernissage à Beyrouth, de même que Gontran Guanaes Netto (Brésil), Bruno Caruso (Italie), Paolo Ganna (Italie) et Mohamed Melehi (Maroc).

En 1982, l'armée israélienne est de nouveau entrée dans Beyrouth, assiégeant la ville dans le but de forcer l'OLP à quitter le Liban. Le bâtiment où était entreposée la collection d'œuvres d'art fut bombardé, ainsi que le Bureau de l'information unifiée, qui abritait la Section des arts plastiques et la trace écrite de l'exposition. Tout ce qui reste de l'histoire de l'Exposition internationale d'art pour la Palestine sont les souvenirs de ceux qui l'ont organisée et de ceux qui l'ont visitée.

L'exposition internationale d'art pour la Palestine fut certainement l'entreprise la plus ambitieuse de l'OLP, mais ce ne fut pas la seule exposition d'art qu'elle organisa. La direction de l'OLP avait besoin d'un moyen de communiquer avec ses propres membres, qui étaient dispersés dans les territoires voisins, dans les camps de réfugiés et dans les villes.

Un deuxième défi consistait à communiquer au monde la légitimité de la cause palestinienne et à mobiliser le soutien en faveur de la lutte pour l'émancipation. Le moyen le plus efficace de contrer la dispersion traumatisante des Palestiniens était de sauvegarder leur sentiment d'appartenance à un peuple par le biais de la culture et des arts. Si les maisons étaient perdues, le souvenir poétique d'avoir eu un foyer restait vivant ; si la terre était loin de la vue, sa représentation la rendait visible sous de multiples formes ; si la citoyenneté était refusée, l'indignité que les Palestiniens enduraient était vaincue.

Entre les mains d'artistes, de poètes, de cinéastes, de musiciens et d'écrivains, la représentation des Palestiniens les a fait passer du statut de réfugiés infortunés vivant de l'assistanat à celui de combattants de la liberté dignes et inébranlables qui avaient pris leur destin en main.

La section des arts plastiques et le département des arts et de la culture nationale (créé en 1965) avaient pour mission de commander, de financer et de promouvoir la production d'affiches, d'œuvres d'art, de films, de théâtre, de danse, de musique et de publications ; de préserver le folklore et les traditions culturelles ; et de galvaniser le soutien à la lutte palestinienne au niveau international, dans le domaine de l'art et de la culture. Des expositions de vêtements traditionnels et d'artisanat ont fait le tour de l'Europe entre 1978 et 1980 pour mettre en valeur le patrimoine de la nation. L'OLP, et en particulier sa section des arts plastiques, a reproduit des œuvres d'art sur des affiches, des cartes postales, des calendriers et des cartes de vœux qui ont été largement diffusés ; elle a également organisé des expositions et apporté son soutien aux artistes. Les affiches étaient le principal outil de diffusion de l'image et de la narration : elles étaient légères, relativement peu coûteuses et rapides à produire, et pouvaient atteindre toutes les classes sociales, toutes les villes et tous les pays.

L'OLP n'a été reconnue comme l'organe représentatif officiel et légitime des Palestiniens qu'en 1974, lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Cependant, avec l'aide de la Ligue arabe, l'organisation a fait pression, pays par pays, pour établir des bureaux de représentation de la Palestine qui fonctionnaient comme des ambassades improvisées, pour gérer les affaires des Palestiniens dans les pays en question, ainsi que pour mobiliser le soutien à la cause palestinienne. La première génération de représentants était issue des camps de réfugiés et de la diaspora palestinienne. Leur imaginaire politique et leurs aspirations étaient nourris par l'expérience vécue de l'indignité et par la ferveur révolutionnaire émancipatrice qui balayait la région (Algérie, Égypte, Irak et Soudan) et le monde (Chili, Cuba et Viêt Nam). Certains représentants de l'OLP - par exemple Fathi Abdul-Hamid (en poste à Tokyo), Mahmoud al-Hamshari (Paris), Ezzeddine Kalak (Paris), Naïm Khader (Bruxelles), Wajih Qasem (Rabat) et Wael Zuwaiter (Rome) - ont agi avec la conviction que la mobilisation du soutien à la cause palestinienne devait passer par un engagement approfondi, patient et créatif avec les associations de base, les syndicats et les collectifs d'étudiants, de travailleurs et d'artistes. Dans les pays où ils étaient en poste, ils ont incité les artistes et les intellectuels à voir en la Palestine un miroir de l'injustice du monde. Ils les ont invités à produire des affiches, des expositions, des conférences et des publications. En RDA et au Japon, ils ont également facilité la collaboration entre les syndicats d'artistes.

Selon le catalogue de l'exposition, les artistes venaient principalement de France, d'Italie, du Japon, d'Irak et de Pologne. L'implication d'Ezzeddine Kalak, assassiné à Paris quelques mois après l'ouverture de l'expositiona été déterminante. Il s'était lié d'amitié avec certains membres de l'Association de la Jeune Peinture, en particulier Claude Lazar. De nombreux artistes français qui ont fait don d'œuvres d'artappartenaient à l'Association de la Jeune Peinture, association contestataire dirigée par des artistes, qui regroupait des collectifs d'artistes militants, radicalisés après les bouleversements de mai 1968.

Créé à Paris en 1950, et officiellement établi en 1953, le Salon de la Jeune Peinture était un événement unique, créé par et pour des artistes, entièrement libre de l'intervention directe ou indirecte des galeries et du marché, qui fait face au manque d'opportunités pour les artistes, émergents ou non, d'exposer leurs œuvres. L'Association de la Jeune Peinture tenait principalement grâce aux cotisations annuelles de ses membres. Sa structure organisationnelle comprenait une assemblée générale qui élisait chaque année un comité chargé de superviser le salon. Le comité était à son tour chargé de sélectionner les œuvres d'art.

En 1968, la Jeune Peinture dédie le salon à la victoire du peuple vietnamien nommé Salle rouge pour le Vietnam  organisant des expositions dans les usines. En 1969 et 1970, le Salon a pour thème "Police et culture" et une multitude de collectifs d'artistes exposent des œuvres collectives, marginalisant les contributions des artistes individuels. Les Salons de 1971 et 1972 s'engagent dans les crises sociales et politiques de la France en exposant exclusivement des œuvres réalisées collectivement. En 1972, le Salon est devenu une plate-forme éminemment politique qui accueille une série de collectifs d'artistes mobilisés autour de questions locales et internationales, parmi lesquelles la lutte palestinienne, la lutte féministe, les droits des travailleurs et les questions environnementales.

Fathi Abdul-Hamid, représentant de l'OLP au Japon (1977-1983), était en contact étroit avec l'Association japonaise des artistes asiatiques, africains et latino-américains (JAALA) et son fondateur, Haryu Ichiro, critique d'art radical, théoricien et écrivain. À l'occasion de l'exposition biennale internationale Le tiers monde et nous au Tokyo Metropolitan Art Museum en juillet 1978, JAALA a invité des artistes palestiniens à présenter leurs œuvres aux côtés d'artistes japonais. En plus d'accueillir des expositions, l'association a organisé des conférences pour sensibiliser à la lutte contre la guerre, le nucléaire et l'impérialisme, auxquelles ont participé des artistes et des intellectuels de pays tels que la Palestine, la Corée du Sud et la Thaïlande. La collection de solidarité avec la Palestine a été présentée pour la première fois au Japon, où cent œuvres ont été sélectionnées et exposées en juillet 1978.

De nombreux artistes italiens ont fait don d'œuvres d'art à l'Exposition internationale d'art pour la Palestine. Exposition internationale d'art pour la Palestine appartenaient à des collectifs d'artistes anti-establishment qui gravitaient autour du Parti communiste italien et participaient à la Festa de l'Unità annuelle tout au long des années 1970. Certains étaient liés par l'intermédiaire de collectifs d'artistes, notamment L'Alzaia. Ses membres ont commencé à collaborer de manière informelle en 1968, mais le collectif a été officiellement fondé en 1971 par Ennio Calabria, Paolo Ganna et plusieurs autres. Ennio Calabria était devenu un ami proche de Wael Zwaiter, traducteur palestinien et représentant de l'OLP à Rome (assassiné par des membres du Mossad en octobre 1972). Le collectif loue un espace sur la via Minerva, dans le centre historique de Rome, où il organise des expositions, des performances et des ateliers, et produit des affiches et des sérigraphies. Le collectif s'engage sur les questions de justice sociale, d'accès équitable au logement public, de développement urbain à Rome, et organise des interventions directes dans les espaces publics. Le collectif apporte également son soutien à des causes internationales. En décembre 1973, par exemple, L'Alzaia organise une exposition en solidarité avec le peuple chilien. Un an plus tôt, elle avait présenté des expositions comprenant une présentation de documents dénonçant la dictature militaire en Grèce, une collection de sérigraphies de Cuba et une série d'affiches sur la lutte palestinienne. Les artistes de L'Alzaia ont participé à la Quadriennale de Rome en 1973 et au Salon de la Jeune Peinture en 1974.

L'Arcicoda est un autre collectif dont les artistes membres sont basés en Toscane, dans la ville de San Giovanni Valdarno et ses environs, en 1973. L'Arcicoda s'est constitué autour de la conviction que l'art devait être produit contre et en dehors du système des galeries et du marché. Le collectif organise des expositions et des interventions dans des espaces indépendants et publics, recherchant un contact direct et anti-élitiste avec le public. Il réalise des sérigraphies, des lithographies et des affiches sur des thèmes locaux et internationaux.

En 1976, le siège de 88 jours et le massacre des réfugiés palestiniens dans le camp de Tal al-Zaatar, dans la banlieue de Beyrouth, ont fait la une des médias internationaux, mais cela n'a pas suffi à faire pression pour soulager les civils pris par le siège. Par solidarité, les représentants de l'OLP et les militants pro-palestiniens se sont mobilisés pour protester, collecter des dons et organiser des événements. Un nombre impressionnant d'affiches ont été produites pour sensibiliser l'opinion publique. L'Arcicoda a collaboré avec le Collectif Palestine (alias le Collectif de peintres des pays arabes) et d'autres groupes pour organiser des expositions et des interventions de peinture sur les places publiques de plusieurs villes de Toscane afin d'inspirer la solidarité avec les personnes assiégées dans le camp de Tal al-Zaatar. La plus mémorable a eu lieu sur la Piazza Ferretto à Mestre, le 7 septembre 1976, lors de la 37e Biennale de Venise. Luigi Nono a joué de la musique en direct et Rachid Koraïchi a peint les mots Tal al-Zaatar en arabe lorsque la toile a été recouverte.

Les syndicats d'artistes représentent un autre pôle de mobilisation.

Dans le monde arabe, la plupart des unions et des associations d'artistes ont été créées dans les années 1960 et au début des années 1970 pour répondre à la nécessité de défendre les droits des artistes, de créer une structure de soutien pour la promotion et la diffusion de leur travail et de renforcer les liens organiques de fraternité existant dans la région arabe. L'Union des artistes palestiniens (UPA), fondée en 1973 au Liban, a créé un espace d'exposition connu sous le nom de Dar al-Karameh, qui présentait les œuvres d'artistes palestiniens et internationaux. L'UPA a également établi des protocoles de collaboration avec des unions internationales d'artistes en République démocratique allemande (RDA), au Viêt Nam et au Japon. Ces collaborations comprenaient des programmes d'échange d'artistes et des expositions itinérantes.

Les administrateurs israéliens ont souvent fermé les expositions durant leur vernissage ou quelques jours après. Ils avaient imposé des règles strictes interdisant l'utilisation des symboles nationaux palestiniens, y compris le drapeau palestinien, et l'utilisation de ses couleurs, à savoir le rouge, le vert et le noir dans une même composition (et la raison pour laquelle les pastèques sont devenues un symbole subversif dans l'art palestinien).

Inspirés par l'Union des artistes palestiniens créée par des artistes réfugiés au Liban, en Syrie et en Jordanie, les artistes palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza, sous occupation israélienne depuis 1967, ont entrepris la démarche d'établir un cadre d'action collective. Bien que l'administrateur militaire israélien ait refusé leur demande de constitution d'une association, ils ont néanmoins créé officiellement la Ligue des artistes palestiniens. La Ligue a organisé plusieurs expositions qui ont tourné dans les villes et villages de Cisjordanie, et parallèlement les artistes de la Ligue se sont représentés à Gaza. Les administrateurs israéliens ont souvent fermé les expositions pendant le vernissage ou quelques jours après. Ils avaient imposé des règles strictes interdisant l'utilisation des symboles nationaux palestiniens, y compris le drapeau palestinien, et l'utilisation de ses couleurs, à savoir le rouge, le vert et le noir dans une même composition (et la raison pour laquelle les pastèques sont devenues un symbole subversif dans l'art palestinien).

En 1981, la Société palestinienne du Croissant-Rouge (homologue de la Société de la Croix-Rouge), fondée par le militant communiste et intellectuel Haidar Abdel-Shafi, a accueilli une exposition de la Ligue qui a été présentée dans plusieurs villes de Gaza, de Cisjordanie et d'Israël. Cette exposition est devenue la reconnaissance officielle de facto de la Ligue, qui a pu s'enregistrer en tant que syndicat sous l'égide de l'Union des ingénieurs existante.

La création de l'Union des artistes arabes (UAA) a officialisé la mise en réseau, l'échange et la coopération entre les artistes au niveau régional. L'idée d'une telle union avait été discutée lors de la première conférence arabe sur les beaux-arts à Damas en 1971 et a été formellement constituée en 1972 lors du premier festival arabe des arts plastiques nationaux à Damas. Ismail Shammout, président de l'UPA, a été élu président de l'UAA, fonction qu'il a exercée de 1971 à 1977. Deux éditions de la Biennale arabe, qui se sont tenues à Bagdad en 1974 et à Rabat en 1976, ont été organisées par l'UAA et ont mis en évidence le dévouement des artistes arabes à la lutte palestinienne.

Passé inquiet est une exposition de récits recueillis au cours de dix années de recherche. Le passé auquel nous faisons référence est récent, et un certain nombre de ses protagonistes sont encore en vie. Néanmoins, pour la plupart, ces histoires racontent des chapitres non documentés de l'histoire de l'art moderne et contemporain qui relatent les actions de groupes d'artistes pour s'engager dans le changement politique. Tout au long des différentes éditions de l'exposition, nous nous sommes toujours interrogés sur l'importance de faire revivre des images et des histoires des décennies après leur apparition - après la défaite de la dictature de Pinochet, après que l'Afrique du Sud ai mis fin à l'apartheid et après que l'OLP ai créé l'Autorité nationale palestinienne. Cet après-coup engendre de nouveaux problèmes, de conflits internes non résolus et de cicatrices qui ne se sont pas encore refermées, mais si l'on se place dans une perspective plus large, nous vivons une époque où les utopies sont devenues caduques et où les luttes pour la libération n'ont pas encore tenu toutes leurs promesses. D'aucuns pourraient même dire que notre époque est celle des lendemains de défaite. Les histoires que nous avons exhumées ont des traces archivistiques rares et dispersées, dont peu existent encore dans les institutions. Et certaines archives ont été détruites. La matière première de l'exposition est constituée d'entretiens, de documents d'archives, d'images et de séquences animées. Lorsque nous avons interviewé des artistes et des militants, nous étions conscients que nous leur demandions de revenir sur des moments historiques où l'espoir et les aspirations étaient encore vifs. Les images (photographies, affiches, œuvres d'art) et les documents avaient "survécu", alors que le cadre politique, discursif et idéologique dans lequel ils avaient été produits s'était estompé. Ce type de voyage dans le temps a ses pièges, le plus évident étant l'attrait de la nostalgie, il était donc nécessaire d'examiner les images d'un point de vue historique.

Le mot '"inquiet" dans le titre de l'exposition apporte, du moins en partie, une réponse aux questions sur nos attentions. Il renvoie à la nature instable de ce passé, à ses blessures, ses déceptions, ses trahisons et, en même temps, à son refus de se taire, d'être réduit au silence, ou d'être rejeté et mis en boîte. "L'inquiétude nous renvoie à notre immunité face à la nostalgie. L'exposition est une invitation à faire le point et à réfléchir sur les échecs et les échecs de ces mobilisations impressionnantes de l'imagination, de la créativité et de l'action audacieuse.

L'une des principales motivations qui nous a portés tout au long de ces années est notre désir de rendre ces histoires visibles, tangibles et de transmettre une mémoire trop facilement éludée. Passé inquiet est une archive vivante et inlassablement proliférante, destinée à être partagée et appropriée. La seconde motivation est de décentrer les récits de l'histoire de l'art de la seconde moitié du siècle dernier, et de compliquer les récits de la division Orient-Occident pendant la guerre froide, en changeant le paradigme à partir duquel nous revisitons les pratiques artistiques, à savoir du point de vue des agents et des acteurs du (soi-disant) sud, et de la perspective de la solidarité.

Notion puissante qui, aujourd'hui, envahit les rues et fait la une des journaux, la "solidarité" se manifeste dans une myriade d'actions, de symboles et d'expressions à travers notre exposition, et elle est en constante régénération et réinvention. Ce que nous voulons offrir, c'est ce que les images et les documents montrent : des artistes du Botswana, du Japon, du Maroc, de Cuba, de France et du Chili ont résisté à l'oppression et à l'indignité et, ensemble, ils ont rêvé d'un autre monde, d'un monde meilleur, d'une manière qui a trouvé un écho dans le monde entier. Ils ont délogé l'art de ses sites "conventionnels" et l'ont replacé dans la vie politique et sociale.

La disparité de genre visible dans les documents et les archives est dans l'air du temps. Les femmes sont présentes, et bien qu'elles aient joué des rôles clés, à quelques exceptions près, elles apparaissent au "second rang" des photographies, des témoignages et des remerciements. Notre mission était de réclamer la reconnaissance qui leur est due. Des femmes comme Carmen Waugh, Dore Ashton, Lucy Lippard, Gracia Barrios et Maeda Rae, pour ne citer que quelques exemples. Au cours des décennies que couvre notre recherche, les luttes transnationales ont croisé les luttes féministes, mais la complicité et les sentiments de solidarité partagés se situaient bien plus au niveau du discours (et des vœux pieux), le patriarcat et la misogynie étant toujours d'actualité.

Notre méthodologie de recherche était semblable au travail d'un détective, avec des rencontres fortuites, des accidents providentiels, des coïncidences surprenantes et des épiphanies. Nous avons tourné en rond, fait des allers-retours, laissé les histoires et les personnages nous guider. Lorsque nous présentions le résultat de la recherche sous forme d'exposition, la scénographie rejouait en partie notre processus judiciaire. Une dramaturgie linéaire, avec un début, un milieu et une fin clairs, aurait trompé la complexité des histoires dévoilées et empêché les visiteurs d'élaborer leurs propres récits. La logique de la scénographie met en évidence, comme des troncs d'arbre, les histoires des quatre collections solidaires ou musées en exil dans les salles, et autour d'elles rayonnent et s'étendent, horizontalement et verticalement, des histoires qui mènent à d'autres histoires et à d'autres encore, pour incarner plus richement les cosmogonies historiques et culturelles dans lesquelles elles ont émergé et brillé. Le cœur du réseau rhizomatique est situé à l'extrémité de chacune des deux salles et jette un pont entre elles. Il est constitué des histoires des collectifs d'artistes, des associations et des syndicats qui ont formé le terreau d'où sont issues les quatre initiatives.

 

Kristine Khouri est une chercheuse spécialisée dans l'histoire culturelle arabe et l'histoire de l'art. Elle s'intéresse à l'histoire de la circulation, de la collecte, de l'exposition et de l'infrastructure des arts au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi qu'à la pratique archivistique et à la diffusion des connaissances. Plus récemment, elle s'est intéressée à l'engagement critique envers les archives numériques et les collections numérisées, ainsi qu'aux questions qui en découlent, notamment les droits, l'accès et la langue. Khouri est membre du conseil d'administration de l'Arab Image Foundation, à Beyrouth.

Rasha Salti est chercheuse, écrivain et conservatrice d'art et de cinéma. Elle vit et travaille entre Marseille et Beyrouth, et était auparavant basée à Berlin. Rasha Salti a organisé des programmes cinématographiques dans le monde entier, du MoMA de New York à la Haus der Kulturen der Welt de Berlin. En 2011, elle a été l'une des co-commissaires de la Biennale de Sharjah. En 2015, elle a co-commandité avec Kristine Khouri l'exposition Past Disquiet : Narratives and Ghosts from the Exhibition of International Art for Palestine (Beyrouth, 1978), au Musée d'art contemporain de Barcelone (MACBA), et à la Haus der Kulturen der Welt (HKW) à Berlin, en 2016. Elle est l'auteur et l'éditrice de nombreuses publications, dont le livre I Would Have Smiled : A Tribute to Myrtle Winter-Chaumeny with Issam Nassar, consacré à l'héritage de la photographe britannique et fondatrice des archives photographiques de l'UNRWA.

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