Fairouz : L'artisan de la paix et le champion de la Palestine

1er octobre 2023 -
Aucun intellectuel public ne jouit d'une aura comparable à celle de Fairouz. Avec plus de 1 000 chansons, 20 comédies musicales et trois films, la chanteuse continue de façonner la politique, les vies et les attitudes vis-à-vis du "chez-soi" dans la diaspora arabe. Un extrait exclusif du nouveau livre de Dima Issa.

 

Dima Issa

 

Au milieu des vagues tumultueuses d'événements dans le monde arabe depuis janvier 2011, et en gardant à l'esprit les attitudes envers les Arabes dans le monde occidental depuis le 11 septembre 2001 (et sans doute avant), Fairouz ne pourrait être plus significative. À travers ses chansons, Fairouz offre à ses auditeurs un espace dans lequel ils peuvent s'engager, en réfléchissant au passé mais en faisant de la place au présent et à l'avenir. Au cœur d'une économie en ruine, d'un gouvernement frauduleux et d'une pandémie mondiale, une bombe a détruit le port de Beyrouth, au Liban, le 4 août 2020. Estimée à l'équivalent de 1 000 à 1 500 tonnes de TNT, soit un dixième de la puissance de la bombe atomique larguée sur Hiroshima, l'explosion a tué des centaines de personnes, en a déplacé des milliers d'autres et a gravement endommagé des bâtiments, des maisons et des biens dans un rayon de six milles. Le pays a été endeuillé. Pour ne rien arranger, le gouvernement libanais n'a pris aucune responsabilité, ni même commenté l'atrocité, ce qui a renforcé la colère et la frustration d'une population déjà épuisée.

Fairouz and the Arab Diaspora est publié par Bloomsbury.

Quelques semaines après l'explosion, le président français Emmanuel Macron s'est rendu au Liban. Sa première visite officielle a eu lieu au domicile de Fairouz, où il a remis à la chanteuse la Légion d'honneur française, la plus haute distinction. Cette visite a été perçue comme un symbole, une évaluation nostalgique du Liban pour lequel elle a chanté toute sa vie. Un Liban plein d'espoir, idyllique et romantique, qui contrastait fortement avec le Liban d'aujourd'hui, corrompu, brisé et rempli de désespoir. Plus important encore, le prix a mis en évidence la force de Fairouz, sa position emblématique, ce qu'elle représentait et ce qu'elle signifiait, non seulement pour le Liban, mais aussi pour ses auditeurs dans le monde entier.

En plaçant la diaspora arabe de Doha et de Londres au premier plan de cette étude, j'examine le rôle que joue la musique de Fairouz dans leur vie tout en mettant en lumière les circonstances qui façonnent leur expérience de la diaspora.

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Depuis la fin des années 1990, le Qatar et sa capitale Doha ont connu un certain nombre de changements politiques structurels, économiques et sociaux qui ont transformé le paysage autrefois plat et sablonneux en gratte-ciel ultramodernes et en bâtiments étincelants. L'école libanaise de Doha, un bâtiment moderne érigé sur ce qui était autrefois un désert aride, est peut-être représentative des transformations rapides qui s'opèrent dans la petite péninsule. Parmi les bavardages, les pas lourds et les visages endormis, la voix de Fairouz se fait entendre sur les haut-parleurs extérieurs de l'école, accueillant chaque matin élèves et parents. 

Cette initiative a été mise en œuvre par Mona, 45 ans, un parent inquiet qui, après avoir déposé ses enfants à l'école un jour, a vu deux hommes se disputer vivement au sujet de la politique libanaise sur le parking.Je suis montée dans ma voiture et j'ai commencé à écouter Fairouz. Je me suis dit : ouf, s'ils l'écoutent, je suis sûre qu'ils ne seront pas en désaccord...".", dit-elle avec sérieux.

Plus tard dans l'après-midi, Mona a écrit un courriel à Walid, le directeur de l'école, expliquant la situation qu'elle avait vue précédemment, et elle a proposé une solution : jouer Fairouz pendant que les parents déposent leurs enfants, de 7 heures à 7 h 30.

Walid s'est empressé d'accepter, car pour lui, c'était l'occasion de "préserver le patrimoine libanais".préserver l'héritage libanaisdans un environnement mondialisé qui, selon lui, pousse la jeune génération à s'éloigner de la " culture arabe et de la langue arabe ".de la culture arabe et de la langue arabe." L'idée de rappeler aux parents et aux enfants l'existence de Fairouz et ce qu'elle représente est en soi une forme de construction identitaire à laquelle Walid et Mona voulaient non seulement participer, mais qu'ils étaient également désireux de partager avec d'autres personnes dans leur sphère d'influence. En choisissant consciemment de jouer les chansons de Fairouz, Mona et Walid ont cherché à construire un espace stratégiquement efficace pour encourager l'"arabité" et la compréhension politique, mais aussi pour compenser tout manquement à l'un ou l'autre de ces objectifs.


Il est important de s'inspirer de la notion d'"aura" de Walter Benjamin pour comprendre comment "figurer et refigurer" peut se produire dans différentes circonstances géopolitiques. Dans L'œuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanique (1936), Benjamin affirme que l'évolution de la technologie a entraîné une perte d'"aura", puisque les œuvres d'art ne sont plus perçues dans leur intégralité physique et temporelle. Pour Benjamin, le fait de retirer l'art de sa place dans l'espace et le temps dévalorise son "aura".

Toutefois, dans le contexte de Fairouz, son "aura" prend différentes formes et se renforce au sein de la communauté diasporique au-delà des frontières et des générations. En tant que "figure", Fairouz se transforme en conséquence. Par exemple, lorsqu'on lui demande ce que Fairouz signifie pour elle à Londres, Hélène, 52 ans, une Libanaise qui vit dans cette ville depuis "environ 24 ans", répond : "que je suis loin... loin du Liban que je connais. Loin de l'ambiance et de l'atmosphère auxquelles je suis habituée..." La déclaration d'Hélène montre comment l'"aura" de Fairouz se manipule en fonction des différentes "histoires individuelles" et situations sociales pour prendre des significations profondes et discursives.

Contrairement à l'œuvre d'art qui, selon Benjamin, doit être appréciée dans une certaine atmosphère temporelle et spatiale pour que son "aura" soit pleinement atteinte, Fairouz produit elle-même cette "aura". Elle est à la fois une expérience à apprécier et une personne qui enrichit l'expérience, " [...]même si elle n'était pas présente dans sa voix, l'air du Liban contient FairouzElle s'est à la fois intégrée à l'espace et en est le premier conducteur. Fairouz se retrouve ainsi en "Syrie," "Liban," "Koweït," "Abou Dhabi"et "en arrière-plan de chaque restaurant, de chaque course de taxi."

Fairouz est associée à la maison, à la terre, aux pays et à une région. Elle est sans frontières, mais elle érige simultanément les frontières affectives et mnémoniques du temps et de l'espace. "Elle fait partie de nous tousElle fait partie de nous tous", une forme d'identité intrinsèquement spécifique, mais généralement inclusive, qui est déterminée dans l'espace et l'éducation, puisque "Fairouz a été dans tout le Liban".Fairouz est dans tous les foyers libanais depuis très longtempsmais aussi "Elle est partout, ya3ni, dans tous mes souvenirs, Fairouz est là. Elle est partout." Les participants à ces exemples montrent que Fairouz n'est pas seulement la bande-son de l'espace mnémonique, mais qu'elle est aussi ancrée dans l'espace personnel de l'individu et de la collectivité.

Fairouz joue un rôle immersif... Elle existe, avec ou sans participants, comme l'affirme Ayman, 34 ans, Syrien, vivant à Londres, "... Je suis venu à l'époque de Fairouz plutôt que Fairouz ne vienne à la mienne.Je suis venu à l'époque de Fairouz plutôt que Fairouz ne vienne à la mienne ..." Cela renforce encore la notion d'omniprésence et d'immortalité de Fairouz parmi ses auditeurs ..." Fairouz occupe donc un espace prénatal, parental et postnatal, à cheval entre l'enfance et l'âge adulte ...".


Dans son livre La souffrance de l'immigré (2004), Abdelmalek Sayad affirme que "l'immigration se traduit par une présence et l'émigration par une absence. Une présence se fait sentir, une absence se constate. Une présence peut être ajustée, régulée, contrôlée et gérée. Une absence est masquée, compensée et niée". Grâce à la musique de Fairouz, les personnes interrogées ont pu exprimer leur situation entre les deux états.

Pour Carmen, Palestinienne, l'"absence" et la "présence" prennent un sens très différent, tout comme les notions de "lieu" et d'"espace". À Doha, Carmen se souvient du "lieu" grâce aux chansons de Fairouz. Au cours d'un entretien émouvant dans un café de Doha, Carmen se souvient d'avoir écouté les chansons de Fairouz sur Jérusalem, et "[...] il n'y a pas un moment où j'écoute les chansons de Fairouz".il n'y a pas un moment où je l'écoute sans pleurer." Fairouz la ramène à "les routes de Jérusalem, les églises, comment était notre vieFairouz la ramène "aux routes de Jérusalem, aux églises, à notre vie", à un "lieu" actif dans son imagination mnémonique. La réponse émotionnelle de Carmen au lieu est une réponse qu'elle estime spécifique à elle et aux autres Palestiniens, car " [...]toute personne qui écoute des chansons sur Jérusalem et d'autres choses ne se sentirait peut-être pas triste... mais pour nous, ça l'est".." Ici, l'affect se manifeste par l'absence, mais il s'agit d'une absence non seulement de l'individu, mais aussi du "lieu" lui-même. Le "nous" de Carmen englobe tous ceux qui ressentent cette "absence" et ce déplacement. Avec l'occupation israélienne des terres palestiniennes, la démolition continue des maisons, la violence physique et émotionnelle, et les colons israéliens qui s'installent dans les propriétés palestiniennes, Carmen ne peut pas retourner en Palestine.

Lors des discussions avec les participants, beaucoup ont parlé de "baytuna"/ "bayti", notre/mon foyer, ou "baladna"/ "baladinotre/mon pays, ou "watanna"/ "watani", notre/mon pays, ou encore "dayi'tna"/ "day'tinotre/mon village. On en parlait surtout au passé, "kan'tna", notre/notre nation, ou encore "dayi'tna", notre/notre village.kandu point de vue de la vie en "Al-ghurba" [en tant qu'étranger ou outsider]. Comme l'écrit Mahmoud Darwish En présence de l'absence(2011), "la patrie n'est pas toujours la lumière du jour et l'exil n'est pas la nuit...".

"Écouter Fairouz en 'Al-ghurba', c'est beaucoup plus pour vous.", explique Amar, 39 ans, Libanais, à Doha. C'est une expérience "plus émotionnelle", qui se traduit souvent par des "haneen".haneenun mot similaire au mot gallois "hiraeth", que l'on peut traduire par "mal du pays" ou "nostalgie", ou encore par "état de manque, de faim ou de nostalgie"...

Fairouz ... est à la fois l'instigateur et le remède de "haneenqui, paradoxalement, s'exclut mutuellement, mais qui est aussi profondément symbiotique avec le fait d'être dans un état de "Al-ghurba."

 

* Les noms de tous les participants et personnes interrogées dans le cadre de l'étude ont été modifiés et leurs voix apparaissent en italique dans l'essai ci-dessus, extrait de Fairouz et la diaspora arabe : musique et identité au Royaume-Uni et au Qatarpar Dima Issa, publié par I.B. Tauris/Bloomsbury Publishing.

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