Après une longue carrière internationale, Maher Attar se tourne vers l'art et la beauté à l'Art District de Beyrouth, alias L'Atelier, la galerie qu'il a ouverte au lendemain de l'explosion du 4 août 2020, dans le quartier emblématique de Gemmayze, où il promeut une nouvelle génération de photographes et d'artistes libanais.
Nicole Hamouche
Au milieu des crises et des catastrophes, il reste aux jeunes Libanais l'art, et en particulier la photographie, l'art de "peindre avec la lumière" pour sublimer l'obscurité littérale d'un quotidien souvent dépourvu d'électricité. Comme le dit la grande poétesse de cette terre libanaise de feu et de lumière, Nadia Tuéni, "l'art [...], quand il s'agit de créateurs authentiques, c'est avant tout la confrontation avec son destin".
L'art et la photographie au Liban ont trouvé un nouveau foyer dans la création de l'Art District de Beyrouth, un an après l'explosion du port. Maher Attar, ancien photojournaliste de renommée internationale, souhaitait soutenir les photographes et artistes libanais émergents et leur offrir un espace pour exposer leurs œuvres. Depuis la guerre civile libanaise, Maher Attar a couvert de nombreux conflits dans la région au cours des dernières décennies, jusqu'à la guerre en Afghanistan. En 2016, il est rentré chez lui, après avoir décidé de se consacrer principalement à la photographie d'art et à la promotion des talents libanais émergents.
Mais en 2020, en pleine crise économique et au lendemain de l'explosion dévastatrice du port le4 août, il se demande s'il doit rester au Liban ou retourner en France, le pays où il a fait carrière et auquel il reste très attaché. Un jour, alors qu'il se promène dans un Beyrouth qui saigne encore des blessures de l'explosion, le photographe tombe sur un bâtiment qui retient son attention. Dans la rue Gemmayzé, dans un quartier emblématique de l'architecture libanaise traditionnelle portant les traces de l'explosion du port, il découvre un espace parfaitement adapté pour accueillir le projet de ses rêves. Il contacte le propriétaire, qui accepte de le lui louer avec des conditions de paiement faciles. Attar le réhabilite et, en l'espace d'un mois, la galerie est opérationnelle, avec pour mission d'être un incubateur de talents.
Cet espace, avec ses pierres anciennes, ses hauts plafonds et son atmosphère tranquille, incarne parfaitement l'essence de Beirut Square, une rare plateforme d'expression et de diversité dans le monde arabe. En offrant un espace d'exposition, Maher Attar espère encourager les photographes libanais à assumer leurs visions et à s'exprimer, même de manière politiquement incorrecte, ce qui est particulièrement important dans un pays où la liberté est de plus en plus compromise. Les œuvres des artistes libanais côtoient celles de leurs pairs syriens, irakiens, qataris et jordaniens, qui ont tous quelque chose d'unique à dire sur le statu quo dans leur pays, ainsi que sur la vie et la liberté en général, nombre d'entre eux ayant vécu dans différents pays du monde arabe et du monde en général. Les artistes exposés dans la galerie d'Attar sont aussi bien des photographes que des sculpteurs, comme le Syrien Badie Jahjah et ses derviches tourneurs, l'Irakienne Rim Al Bahrani et ses bâtiments, Lina Lotfi, une Libanaise vivant au Qatar, et Myrna Maalouf et ses bustes de femmes, dédiés aux femmes atteintes d'un cancer du sein. Les œuvres de cette dernière ont été la cible d'extrémistes religieux lorsqu'elles ont été exposées sur une place publique dans le cadre d'une campagne de sensibilisation. Mais Attar n'est pas étranger à la défense de causes sociales, ayant vu et vécu de près la guerre et sa folie. Dans cette optique, l'art ne peut être qu'engagé ou politique, même dans sa discrétion et son élégance silencieuse.
La galerie a ouvert ses portes avec la première exposition personnelle de Maher Attar. Pour l'occasion, le sol de la galerie a été parsemé de citations adressées aux visiteurs : un geste de tendresse adressé à ceux qui sont encore sous le choc du4 août dans un contexte de crise abyssale. Attar a accroché au mur un panneau en anglais, en gros caractères : "Accepter ce qui est et s'élever au-dessus". Il s'agit d'une sorte d'épitaphe, invitant les visiteurs à enterrer la violence et le ressentiment et à ouvrir un espace plus large d'expression et de possibilités.
Les photos d'Attar documentent une période d'enfermement qu'il a passée dans la nature - le meilleur des enfermements. Avant cette période et même avant la révolution d'octobre 2019, Maher Attar s'était assigné un projet artistique qu'il appelle "Berytus, une ville glorifiée" - un titre qui fait référence au Beyrouth de l'époque romaine, lorsque la ville était un emblème de l'État de droit et du respect des humanités, ce qui est en totale opposition avec son statut actuel. Avec son regard amoureux, il a voulu redonner de la vitalité à sa ville en difficulté, en rappelant aux spectateurs combien elle avait été belle et fertile par le passé. "Je voulais redonner à Beyrouth sa gloire d'antan", explique-t-il. "À une époque, c'était une ville glorieuse, sous les Romains. Elle était très appréciée à l'époque. Dans une mise en scène théâtrale, il dépeint la ville comme une femme qui a reçu beaucoup de coups durs mais qui tient bon. Sa Marianne libanaise véhicule un message de dignité, de liberté, de paix et de diversité : tout ce que Béryte a pu symboliser à un moment ou à un autre. Puis le Liban a connu un déclin rapide et l'artiste n'a plus pu porter son projet sur la scène internationale comme il l'espérait. L'idée lui revient aujourd'hui à l'esprit, d'autant plus que l'année 2025 marquera la commémoration du 50e anniversaire du début de la guerre du Liban.
Bien que la patrie d'Attar occupe son cœur, ses intérêts et ses sujets vont bien au-delà de ses frontières. Il a d'ailleurs partagé certaines de ces œuvres avec son public libanais. Par exemple, son exposition One Year of Happiness, une exposition plus ancienne et assez parisienne de ses photos des coulisses du Lido de Paris, où les plumes, la féminité et les courbes nues servent d'expressions et de célébrations de la joie. Il a également exposé des photos de la collection de Dominique Aubert, un ancien collègue de l'agence Sygma, qui les a offertes en guise de soutien à la nouvelle galerie : des photos d'aviateurs et de pilotes de course qui racontent une époque où les hommes savaient rêver de liberté et la vivre. Outre ces expositions ponctuelles, l'Art District accueille également de jeunes artistes libanais talentueux tels qu'Elie El Khoury, le photographe et maître imprimeur Khodr Cherri, Dana Mortada, Chloé Khoury, Luna Salem (et un nombre croissant d'autres femmes), ainsi que des architectes. Ensemble, ils donnent un aperçu d'une scène artistique libérée et ambitieuse, avec autant de photos décrivant l'environnement social direct du Liban que des coins plus éloignés du monde.
La force de ces photographes réside dans leur capacité à être patients, même dans les moments d'urgence et de crise, en attendant le bon angle de lumière qui leur permettra de capturer l'image décisive. La force d'Attar, en particulier, est d'explorer un rapport au temps différent de celui de l'ère numérique, en travaillant avec la lomographie, une technique qui utilise la pellicule argentique et qui est basée sur la spontanéité et le rejet des canons photographiques, et où, contrairement à la photographie numérique, il n'est pas possible de contrôler le résultat. "Photographier avec une pellicule périmée vous fait comprendre que vous devez vous faire davantage confiance et faire confiance à votre appareil photo", explique Attar. C'est pourquoi, lorsqu'il sélectionne les artistes à exposer, il ne retient pas ceux qui prennent leurs images sur des smartphones, même si c'est la tendance actuelle. Attar ose ainsi être de son temps sans en être.
La mission d'Attar, en tant qu'artiste et aujourd'hui commissaire d'exposition, est guidée par un profond sens des responsabilités. En tant que photographe de guerre, il a été témoin du chaos qui régnait de tous côtés : des miliciens qui tiraient sur l'armée libanaise, d'autres miliciens qui faisaient la guerre dans les camps palestiniens. Il a vu ce que la guerre fait aux enfants et comment elle les prive d'école. Ayant également dû interrompre sa propre scolarité à cause de la guerre, c'est une cause à laquelle il est particulièrement sensible. C'est ainsi que, dans le cadre du programme "Education Above All" de la Fondation du Qatar, il a conçu et réalisé la série "Challenges and Realities", pour défendre la cause des enfants non scolarisés. Ses reportages l'ont conduit dans 11 pays, dont Haïti, la Thaïlande, le Pakistan, le Soudan et le Kenya, et ont donné lieu à un livre de photos ainsi qu'à des expositions au siège des Nations unies à New York, puis à l'UNESCO à Paris. En 2009, il a également animé des ateliers avec des enfants au Népal, au Cambodge et en Indonésie, les aidant à voir les choses différemment, c'est-à-dire à travers l'objectif d'un appareil photo. Au moment de son départ, il leur a laissé les appareils photo, et Attar se souvient encore que certains d'entre eux ont pleuré de joie en recevant ce cadeau.
Aujourd'hui, celui qui, à 20 ans, courait après un scoop dans l'espoir de vendre une image à l'AFP ou à une autre agence internationale pour se faire un nom, affirme que "risquer sa vie pour un scoop n'en vaut pas la peine". Il le sait par expérience : il a été gravement blessé à deux reprises dans le feu de l'action. La première fois, une balle lui a traversé le visage et il est tombé du deuxième étage au sol et dans le coma. La seconde fois, une balle a explosé dans sa jambe et a provoqué une grave infection. Il a passé huit mois à l'hôpital et sa jambe a failli être amputée. Mais il était jeune à l'époque et férocement ambitieux. Il n'hésitait pas à se mêler aux reporters légendaires qui fréquentaient le bar de l'hôtel Commodore à l'époque de la guerre - des reporters comme Eddie Adams, qui était venu couvrir l'invasion israélienne de Beyrouth après avoir couvert le Viêt Nam. Leur exemple l'a stimulé et lui a donné les moyens d'aller de l'avant et d'atteindre de plus hauts sommets. Puis, en juin 1985, pendant la guerre dans les camps palestiniens - qui opposait le parti Amal aux Palestiniens - il a pris une photo qui a fait la une du New York Times et a immédiatement lancé sa carrière internationale. Grâce à elle, il passe 17 ans au sein de l'agence Sygma, basée à Paris, et sillonne le monde.
Paradoxalement, même si c'est la violence qui l'a amené à l'art de la photographie, c'est la tendresse qu'Attar cherche avant tout à capturer. "Il y a une violence tendre dans mes images", dit-il. "J'ai toujours recherché la tendresse. C'est ce que je voulais documenter dans mes photos". Car après tout, la tendresse, c'est la lumière, et la lumière, c'est la tendresse. Pourra-t-il encore la trouver à Beyrouth, que la poétesse Nadia Tuéni a qualifié de "dernier sanctuaire en Orient où l'homme peut s'habiller de lumière" ?