Animalia de Sofia Alaoui est un thriller surnaturel tourné au Maroc

7 août 2023 -
Le premier long métrage de Sofia Alaoui, en français, arabe et tamazight, est à l'affiche en France cet été et sera bientôt disponible en VOD.

 

Karim Goury

 

En 2021, une jeune réalisatrice franco-marocaine remporte le César du meilleur court-métrage, après avoir gagné le Grand Prix du prestigieux festival de Sundance. Elle s'appelle Sofia Alaoui et son film s'intitule Qu'importesi les bêtesmeurent.

Deux ans plus tard, elle revient avec Animalia, son premier long métrage. Le film a été présenté à Sundance cette année, où il a remporté le prix spécial du jury. Animalia raconte l'histoire d'Itto, une jeune femme amazighe issue d'un milieu populaire, mariée au fils d'un caïd d'Imilchil, une petite ville de l'Atlas marocain. Itto est enceinte et, à en juger par la rondeur de son ventre, l'accouchement est imminent.

Amine, son jeune mari, est aimant et attentionné, mais reste étranger à l'ordre familial bourgeois. Il est pris en étau entre son père, grand-père respecté mais autoritaire, et une mère qui méprise sa belle-fille d'extraction modeste, et sans doute jalouse de sa jeunesse (et de sa beauté ?).

Un jour, alors que toute la famille est en voyage d'affaires, Itto décide de rester seul dans la villa familiale. Ce qui commence comme une journée tranquille se transforme soudain en chaos : des hélicoptères, des véhicules blindés et des troupes armées apparaissent dans le village (un peu comme dans La guerre des mondes de Steven Spielberg ou World War Z de Marc Forster) et le bouclent.

Alors que des phénomènes mystérieux se produisent dans tout le pays, l'état d'urgence est décrété. Itto est désemparée mais surmonte son émotion avec la force d'une jeune femme qui porte la vie, cherchant désespérément un moyen de rejoindre Amine.

Le surnaturel semble être le thème préféré de Sofia Alaoui pour raconter une histoire. Entre ses mains expertes, c'est un motif visuel et conceptuel qui lui donne la liberté de confronter ses personnages à des questions vitales, ce qui est toujours bon pour le spectacle et le cinéma.

Ici, une catastrophe semble sur le point de dévaster l'Atlas marocain, voire le monde, mais ne se produit jamais. La menace et la tension sont palpables tout au long du film.

Sofia Alaoui n'explique pas la nature de cette menace. Elle nous la montre une seule fois, dans une image saisissante de beauté contemplative, puis nous abandonne dans un espace opaque où les causes restent floues, mais où seules les conséquences sont suggérées.

C'est ce qui fait la force du cinéma d'Alaoui.

Déjà, dans So What If the Goats Die, on avait un film agnostique où, à travers la mise en scène d'un phénomène mondial inexpliqué, le jeune réalisateur donnait au spectateur l'occasion de s'interroger sur ses propres croyances religieuses ou autres, en les mettant face à face (ou dos à dos). Mais dans Animalia, qui joue sur les mêmes ressorts narratifs, il y a quelque chose qui met en échec ce qui fonctionnait si bien dans le court métrage.

Animalia s'appuie sur des personnages plus stéréotypés, dont le statut social suffit à les caractériser (une jeune femme issue de la classe ouvrière, un fils de famille beau et lisse, un père écrasant, une mère jalouse de sa belle-fille, un employé d'hôtel altruiste et courageux). Ce parti pris rend la question sociologique beaucoup trop présente et didactique, et le surnaturel ne peut plus jouer son rôle de catalyseur de notre réflexion.

La question métaphysique, qui devrait être révélée par l'émergence du fantastique dans le quotidien d'Itto, est affaiblie par la critique de cette société marocaine divisée, à laquelle le réalisateur n'apporte ni un point de vue tout à fait personnel, ni un point de vue vraiment original.

Oumaïma Barid joue le rôle d'Itto. La jeune actrice est parfois agaçante dans ses intonations. Elle perd le fil de son interprétation dans certaines scènes, comme s'il y avait des zones d'ombre sur les questions qui la traversent, créant un sentiment de flottement, malgré l'énergie vitale qui la transcende.

 

Mehdi Debhi dans le rôle d'Amine, Oumaïma Barid dans le rôle d'Itto dans Animalia de Sofia Alaoui (avec l'aimable autorisation d'Unifrance).

Mehdi Dehbi joue le rôle d'Amine, le jeune mari d'Itto. Au début du film, son allure lisse correspond parfaitement à la société à laquelle il appartient, tandis que son amour pour une jeune fille de la classe ouvrière constitue un contrepoint intéressant à son caractère, jusqu'aux trois quarts du film environ. Puis son rôle change et l'anomalie de leur amour s'estompe : il redevient le personnage détestable auquel il ressemble et qu'il aurait toujours dû être.

En revanche, nous sommes ravis de retrouver Fouad Oughaou, le magnifique jeune acteur de Et si les chèvres mouraient. Il joue ici un employé d'hôtel qui aide Itto à rejoindre Amine. Il est le seul à incarner son personnage avec densité, sans effet. Il n'a pas besoin de beaucoup de texte pour cela. Fouad Oughaou irradie par son regard magnétique et sa présence souveraine. Il est le Maroc du désert, des villages, du peuple. Tout cela se reflète dans sa posture, sa démarche, ses yeux.

La question de la relation entre les sexes semble également être soulevée dans le film, mais de manière énigmatique. Bien sûr, le personnage principal est une femme qui attend un enfant et qui lutte pour survivre dans un environnement presque exclusivement masculin. La menace que représentent les phénomènes paranormaux peut être vue comme celle, plus évidente, d'une jeune femme seule qui cherche à s'affranchir des traditions, dans une société encore archaïque pour toute une partie de sa population (la séquence où Itto se prépare à passer une nuit seule dans un hôtel peuplé d'hommes est sans équivoque).

Que disent les animaux dans Animalia? Qu'ont-ils à nous apprendre ? Sont-ils les sentinelles de notre monde qui s'achève ? Ou sont-ils la principale menace ? Il y a dans Animalia une obscurité de sens qui se superpose au mystère météorologique qui menace le monde. La fonction des animaux annoncée par le titre du film nous laisse sur notre faim. Par moments, on pense aux Oiseaux d' Alfred Hitchcock (1963), mais très vite, un nouveau plan remplace le précédent, une autre séquence arrive, renvoyant les animaux bien avant que notre curiosité ne soit étanchée.

Chiens, oiseaux et moutons errent çà et là dans la campagne, agités par des attitudes irrationnelles dont Itto semble être le seul témoin.

Animalia est un road movie dans lequel Itto, enceinte de l'enfant d'Amine, tente de rejoindre son mari sur le scooter de Fouad - l'homme qui décide de l'aider dans sa quête. Sur les chemins chaotiques de l'Atlas, la menace est aussi domestique. L'omniprésence du fœtus in utero, même si elle n'est pas traitée par le réalisateur, nous fait craindre le pire pour le bébé qu'elle porte, tout au long du pénible voyage vers le père. Il y a donc un autre niveau, plus inconscient, plus profond, dans ce film. AnimaliaLe projet de loi sur l'immigration, qui semble échapper à son réalisateur, a été adopté par le Parlement européen.

Lors de la projection du film au Festival des Champs-Élysées, Sofia Alaoui était présente avec son nouveau-né dans les bras (je le précise non seulement parce que la jeune réalisatrice s'est présentée à la projection avec son bébé, mais aussi parce que je vois un lien direct entre le personnage d'Itto et la réalisatrice du film). Peut-on pour autant regarder le film à travers le prisme de la maternité et s'interroger sur le propos de Sofia Alaoui ?

Si l'étrangeté de son court métrage conduit le public vers un dilemme métaphysique simple, opposant le cartésien, le mystique et le surnaturel, obligeant les spectateurs à confronter leurs croyances, Animalia réussit à traiter l'étrangeté du point de vue subjectif d'Itto, une future mère. Et l'enfant qu'elle porte est lui-même une forme d'étrangeté - elle porte en elle un corps étranger, et soudain tout ce qui l'entoure semble frappé du sceau du surnaturel, de l'inexpliqué, de l'angoissant.

Rosemary's Baby (1968) de Roman Polanski montrait déjà l'angoisse existentielle d'une future mère (Mia Farrow) et l'incompréhension bienveillante de son mari (John Cassavetes) dans l'attente de leur premier enfant - un film terrifiant qui transformait un simple événement en un univers d'horreur et d'angoisse.

Sofia Alaoui a-t-elle une façon bien à elle de parler de la maternité ? Son film est-il nourri des doutes, des émotions, des peurs et des angoisses qu'elle vivait elle-même en même temps que son personnage ? Bien sûr, il faudrait savoir si l'écriture de son film a coïncidé avec les neuf mois de gestation, mais j'aurais tendance à le penser, car c'est là, pour moi, qu'Animalia se révèle particulier, intime et riche.

Itto enceinte à l'écran et Sofia Alaoui en jeune mère face au public : un puissant effet miroir qui peut révéler le sens caché du film et toute sa clarté...Le pouvoir inouï de la maternité sur l'imaginaire d'une femme (enceinte), l'incompréhension totale des hommes face à cet événement, le décalage ontologique radical entre les deux sexes qui peut conduire à l'irréconciliable.

Dans Animalia, Sofia Alaoui raconte ce moment fantastique où une femme porte la vie, où elle est sur le point d'accoucher, où elle est (les deux ? double ?), et où, autour d'elle, le monde prend une nouvelle dimension, quasi-sacrée, quasi-divine et pourtant absolument naturelle, presque... animale.

 

Lire un entretien avec Sofia Alaoui dans Cineuropa.

Sofia Alaoui est une réalisatrice et scénariste franco-marocaine, surtout connue pour son court métrage Qu'importe si les bêtes meurent. Née à Casablanca d'un père marocain et d'une mère française, elle a grandi entre le Maroc et la Chine. Après avoir obtenu son baccalauréat, elle s'installe à Paris pour étudier le cinéma. En 2017, elle retourne au Maroc pour développer sa propre société de production, Jiango Films. Son premier court-métrage de fiction, Kenza des choux, a été projeté dans plusieurs festivals. Son court suivant, Who Cares if the Goats Die (2019) a été tourné dans les montagnes de l'Atlas et mettait en scène des acteurs non professionnels et des dialogues exclusivement en tamazight. Il a remporté le Grand prix du jury au Festival du film de Sundance en 2020 et le César du meilleur court métrage de fiction en 2021.

Karim Goury est un cinéaste franco-égyptien basé à Paris et diplômé de l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy (ENSAPC). Il a notamment réalisé Made in Egypt et The Man Inside.

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