Le sionisme est-il devenu une classe protégée ? Critiquer Israël est-ce un sujet tabou ? Les campus américains bouillonnent lorsque l'on arle du génocide.
Maura Finkelstein
Une bataille idéologique s'installe au sein des institutions académiques américaines suite au 7 octobre2023. Le sionisme compte-t-il comme une classe protégée ? Dans la politique de non-discrimination et égalité d'opportunités de la plupart des universités et écoles des États-Unis, nous retrouvons " l'origine nationale ou ethnique " en tant que catégorie de classes protégées.
Selon la Commission américaine pour l’égalité des chances dans l'emploi, « l’origine nationale ou ethnique » fait référence à une personne qui « vient d’un endroit particulier, a un accent particulier ou semble avoir une origine ethnique particulière ».
Le sionisme est une idéologie nationaliste, politique nationaliste politique nationaliste qui vise à établir et à faire respecter un État juif. En dépit de nombreuses tentatives discursives de fusionner les deux, le sionisme n'est pas, par définition, synonyme de "juif" (une identité ethno-religieuse) ou d'"israélien" (une origine nationale). Cependant, après que la Chambre des représentants a adopté une résolution en décembre assimilant l'antisémitisme à l'antisionisme, les sionistes se sont enhardis à porter plainte contre ceux qui écrivent, enseignent et s'expriment (notamment sur les médias sociaux) contre le génocide israélien à Gaza. Appeler à un cessez-le-feu, critiquer l'idéologie sioniste, suggérer qu'Israël est un État colonial raciste, c'est - selon cet argument - une attaque contre les sionistes et donc aussi une attaque contre le peuple juif.
Avec le soutien des sionistes, de nombreux académiciens qui enseignent, écrivent et parlent de la Palestine sont aujourd'hui réduits au silence, ou obligés de contempler constamment les « deux côtés ». La liberté académique ne tient plus qu’à un fil.
Le sionisme est une idéologie raciste, basée sur le déplacement et la destruction d’une population indigène (les Palestiniens) afin d’établir, de contrôler et de contrôler l’État ethnique antidémocratique et théocratique d’Israël. Les fondateurs du sionisme étaient clairs sur cette intention, tandis que les sionistes contemporains tentent d’obscurcir cette réalité historique. Pour son projet colonial de peuplement, Israël a bénéficié de l’impunité et d’un statut exceptionnel suite à l’Holocauste. Des chercheurs tels que Rashid Khalidi, Robin D.G. Kelley et Raz Segal ont écrit sur la façon dont le droit international a été développé dans le contexte de l’Holocauste, qui fut considéré comme un cas exceptionnel afin d’être séparé des horreurs du colonialisme européen. Ironiquement, celui-ci était en train d’être démantelé au même moment. Cet exceptionnalisme a accordé à Israël une impunité qui, paradoxalement, a autorisé l’occupation génocidaire de la Palestine et du peuple palestinien.
Les contestations de l’exceptionnalisme israélien ont été réduites au silence de plusieurs façons. Aux États-Unis, par le biais d’initiatives contre la diversité, équité et inclusion (DEI). Au cours des dernières années, les conservateurs d’extrême droite ont stratégiquement exploité les allégations d’antisémitisme pour faire avancer une campagne quii visée à démanteler des initiatives de DEI. La plupart de ces affirmations sont tirées d’une étude menée en 2021 par la Heritage Foundation, « Inclusion Delusion : The Antisemitism of Diversity, Equity, and Inclusion Staff at Universities ». En tant qu’ensemble de données, cette étude s’appuie exclusivement sur « les feeds Twitter de 741 membres du personnel DEI de 65 universités pour trouver leurs communications publiques concernant Israël les comparants avec celles concernant la Chine ».
Il y a deux points à aborder ici : premièrement, en s’appuyant entièrement sur les tweets des travailleurs de la DEI, la Heritage Foundation soutient que les réseaux sociaux privés indiquent le type de travail qu’une personne accomplit dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Le rapport conclut, sur la base de cet effondrement des réseaux privés et professionnels, que : « L’activisme politique des travailleurs de la DEI peut aider à expliquer la fréquence croissante des incidents antisémites sur les campus universitaires. » Le rapport ne démontre aucune relation de cause à effet en ce qui concerne les opinions exprimées sur les réseaux sociaux qui entraîneraient une montée de l’antisémitisme sur les campus universitaires. Celui-ci s’appuie plutôt sur une interprétation vague : « Bien que la communauté juive américaine soit rarement spécifiée dans les communications publiques du personnel de la DEI, on l'associe aux crimes israéliens. » Le rapport conclut en appelant à la suppression du financement et à la restructuration des initiatives en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, car « l’objectif des travailleurs de la DEI [...] est d’accueillir des élèves de tous les milieux, de leur donner le sentiment d’être inclus et de prévenir ou de traiter les incidents haineux et préjugés. Mais il est clair que les travailleurs de la DEI dans les universités sont en fait des activistes politiques, qui articulent et appliquent un programme idéologique étroit et radical. Et pourtant, le rapport ne montre aucune preuve de ces accusations, car l’argument ne repose que sur des discussions Twitter, sans interaction ni entretien avec ces travailleurs ou les étudiants (pour une critique plus approfondie de la méthodologie du rapport, veuillez consulter cette analyse dans The Forward).
Deuxièmement, le rapport affirme que : "Le fait d'accuser fréquemment Israël de génocide, d'apartheid, de colonialisme de peuplement, de nettoyage ethnique et d'autres crimes extrêmes, tout en formulant rarement des critiques similaires à l'égard de la Chine, témoigne d'une haine irrationnelle particulièrement dirigée contre les juifs et non une simple préoccupation pour les droits de l'homme". Cette phrase suggère que toute critique d'Israël est basée sur une "haine irrationnelle", opposée aux preuves de "génocide, d'apartheid, de colonialisme de peuplement, de nettoyage ethnique et d'autres crimes extrêmes" contre les Palestiniens. En plus, cela associe toute critique d'Israël (antisionisme) aux attaques contre les Juifs (antisémitisme). En établissant ce discours (antisionisme égale antisémitisme), le rapport cite la définition de l'antisémitisme établie par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), une définition qui a fait l'objet d'un examen plus approfondi depuis octobre 2023 (voir le reportage dans The Nation et The Guardian). Un des éléments de l'antisémitisme dans la définition de l'IHRA serait "Nier au peuple juif son droit à l'autodétermination, notamment en affirmant que l'existence de l' État d'Israël est raciste". D'ailleurs, le rapport a signalé le tweet suivant : "Le peuple juif n'est pas responsable des actions du gouvernement israélien, mais nous avons la responsabilité de dénoncer la violence et les violations des droits de l'homme lorsque nous les voyons surtout lorsque les personnes qui commettent ces violences prétendent le faire en notre nom". Le travailleur du DEI en question se trouve être juif. En signalant ce tweet, le rapport accuse un juif antisioniste d'antisémitisme.
Ce rapport fait écho au licenciement du professeur américain d’origine palestinienne Steven Salaita, qui fut licencié en 2014 d’un poste de professeur dans le programme d’études amérindiennes de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (UIUC), deux semaines avant qu’il ne commence. Puisque son contrat signé, Salaita avait déjà démissionné de son poste à l’Université Virginia Tech. L’UIUC avait pris cette décision motivée et justifiée par des tweets sur le compte Twitter personnel de Salaita, qui critiquaient l’attaque d’Israël contre Gaza, menée dans le cadre de l’Opération Bordure Protectrice. On estime que 2 310 Gazaouis ont été tués par les soldats israéliens, en plus de 10 895 blessés, dont 3 374 enfants, et 1 000 sont devenus handicapés à vie. L’indignation de Salaita a été qualifiée d'« incivile » par l’UIUC. « Inclusion Delusion » met en avant un lien entre l'activité sur les réseaux sociaux privés et le professionalisme de Salaita par le bias d'arguments et de données très peu convaincantes. Ce rapport fait également partie d’une alliance inattendue, celle des conservateurs d’extrême droite, suprémacistes blancs, néonazis et sionistes juifs de tout le spectre politique qui ont trouvé un terrain d’entente dans la poursuite de toute critique d’Israël et de tout soutien au BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), à la libération de la Palestine, à un cessez-le-feu et à la fin du génocide. Les attaques contre les initiatives de la DEI sont un prolongement de ce travail.
Ces attaques ne sont que l’itération la plus récente d’une longue bataille menée par les opposants de droite contre les initiatives d’égalité des chances dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. Les conservateurs s’attaquent à la discrimination positive depuis sa création et les campus des collèges et des universités sont l’un des principaux champs de bataille de cette lutte. Lorsque la Cour suprême a mis fin aux systèmes de quotas raciaux dans les universités américaines en juin 2023, laissant de côté la discrimination positive, Clarence Thomas a justifié la décision en affirmant que : « Ces politiques [d’action positive] vont à l’encontre de notre Constitution sans distinction de couleur. » Alors qu’une « constitution daltonienne » est un fantasme dans un pays enraciné dans la négrophobie et le génocide autochtone en cours, c'est la discrimination positive qui mis en lumière les méfaits de la catégorisation raciale. Alors qu'il serait très facile de définir les catégories noirs, latinos, asiatiques Aux États-Unis, bien qu’il puisse être facile de définir les catégories de Noirs, de Latinos et d’Asiatiques pour réviser, la blancheur s’élargit et se contracte afin de consolider son pouvoir et d’exercer sa souveraineté. Par exemple,les Juifs et les Arabes sont parfois dans la catégorie de blancs et parfois définis comme « autres » et ne sont pas nécessairement inclus dans les pratiques d’admission et d’emploi fondées sur la race. Dans son ouvrage classique de recherche anthropologique, Comment les Juifs en sont-ils venus à être définis comme « blancs » et ce que cela dit nous dit sur la race en Amérique, Karen Brodkin montre comment les Juifs ont habité à la fois la blancheur et les désignations raciales « off-white », en fonction de l’évolution du contexte économique, politique et social. Cette ambiguïté de privilèges, d’assujettissement, de pouvoir et de discrimination vécue par les Juifs aux États-Unis partage des éléments de la position de « minorité modèle » historiquement exigée par les Asiatiques et des Américains d’origine asiatique. Comme l’a montré Hua Hsu dans un essai publié en 2018 dans le New Yorker, les Américains d’origine asiatique ont longtemps été utilisés par les opposants conservateurs (principalement blancs) à la discrimination positive et à d’autres politiques contre les droits civiques. De même, les sionistes juifs sont actuellement utilisés par les conservateurs pour démanteler les initiatives du DEI au service de la suprématie blanche.
J’ai moi même était témoin de comment les sionistes s’approprient ce manuel d’extrême droite pour présenter les étudiants juifs en tant que victime singulière de la diversité « de gauche » ou « woke » sur les campus. Pendant neuf ans, j’ai enseigné dans un petit collège d’arts qui s’identifie comme un lieu sûr pour les sionistes. Alors que le campus a toujours été un endroit difficile pour tout ceux qui critiquent l’occupation israélienne. Depuis le 7 octobre 2023, l’administration du collège a intensifié la censure des perspectives antisionistes et pro-palestiniennes. La seule action entreprise par l’université visant à reconnaître la violence et la douleur causée par le génocide israélien en cours à Gaza est de mettre en place des « cercles d’écoute ». Dans un mail envoyé au corps professoral et au personnel à la fin du mois d’octobre, l’aumônier du collège a expliqué que : « Le processus que nous utiliserons... permet à chacun de partager son expérience et d’écouter profondément les expériences des autres. Il est destiné à nous faire avancer, non pas par la discussion, le dialogue ou le débat, mais en écoutant d’abord les expériences de chaque personne présente, même si elles sont contradictoires. Cela nous permet d’être vus et nous met au défi de nous voir les uns les autres.
Une approche qui normalise toutes les réactions et émotions face au génocide, qu’il s’agisse de l’occupation militaire israélienne, de la liberté palestinienne ou de n’importe où entre les deux, est un réel danger. Nous retrouvons ce type de normalisation dans magazine Guernica. Le président du collège écrivait quelques semaines plus tard dans un mail : « Notre engagement envers l’échange civile d’idées reste ferme. Chacun d’entre nous peut et doit exprimer librement ses opinions en public et sur le campus, dans les limites de la politique et de la loi de l’Ordre.» Cet discours libéral masque une réalité plus sombre. Historiquement, la « civilité » a été utilisée pour faire taire la dissidence et protéger le pouvoir capitaliste hétéropatriarcal de la suprématie blanche. Selon l’administration du collège, il n’y a pas de réponse correcte, morale ou éthique au génocide, tout le monde a le droit d’avoir une opinion et d’être entendu.
Ces cercles d’écoute ont été développés dans le cadre des initiatives du collège en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, et le corps professoral et le personnel qui animent les réunions sont liés à d’autres activités de DEI sur le campus. En exigeant la « civilité », le collège soutient que tous les sentiments, expériences et traumatismes sont égaux et valides, quelle que soit la dynamique de pouvoir impliquée. On est loin d’une approche antiraciste de l’éducation. Idéologiquement, c’est une question libérale. En pratique, c’est sioniste.
Le collège dit vouloir faciliter le libre échange d’idées, mais après neuf ans ici, je connnais bien les intérêts politiques et idéologiques qui se cachent derrière cette vision. D’abord en tant qu’assistante et maintenant professeure agrégée d’anthropologie, je donne un cours sur la Palestine, j’écris sur la Palestine et j’ai invité un conférencier palestinien sur le campus. Grâce à ce travail, j’ai découvert le pouvoir de Hillel International, une entité que je croyais autrefois destinée à servir tous les étudiants juifs. Je comprends maintenant qu'« Israël est au cœur du travail de Hillel ». Mon campus est l’un des 65 collèges et universités à travers les États-Unis qui accueillent un « Israël Fellow » : un ancien soldat israélien chargé d’aider les étudiants à forger une relation durable avec Israël. En partenariat avec des programmes comme Birthright et Masa Israel, les étudiants sont encouragés à passer du temps en Israël, que ce soit par le biais de voyages, bénévolat, stages ou formations professionnelles. Hillel offre notamment des bourses Hasbara, un programme qui « amène des centaines d’étudiants en Israël chaque été et chaque hiver, leur donnant les informations et les outils nécessaires pour retourner sur leurs campus en tant que militants et dirigeants pro-israéliens ». « Hasbara » se traduit littéralement par « explication », mais se traduit de manière plus informelle par : « le contrôle du récit et la manipulation de l’information en tant qu’élément essentiel de la guerre moderne », selon le Conseil politique du Moyen-Orient (MEPC). Lorsque j’ai fait face à une opposition à mon travail sur la Palestine, cela faisait partie d’une campagne d'étudiants formés, sur le campus par l’intermédiaire de Hillel et en Israël. Lors des cercles d’écoute organisés sur le campus, ces étudiants ont effectivement fait taire tout murmure de solidarité avec la Palestine ou toute contestation de l’impunité israélienne. Au lieu de cela, des étudiants qui s’identifiaient comme arabes, musulmans, palestiniens ou antisionistes m’ont contacté en privé, déplorant leur incapacité à parler et réfléchissant à un climat de campus qui semblait hostile à leurs opinions et à leurs identités.
Depuis mi-octobre, je fais l’objet d’une attaque de la part d’étudiants, de collègues, d’anciens élèves, de parents et de financeurs sionistes. En ligne, par e-mail et sur plusieurs réseaux sociaux. Lorsque ces attaques sont à la hausse, elles proviennent généralement d’actions organisées par des étudiants et des anciens élèves qui ont été formés par des programmes tels que la Hasbara Fellowship. Ces attaques suivent le même scénario: elles présentent l’occupation et le génocide comme une guerre avec le Hamas, affirment que le Hamas me tuerait parce que je suis queer, qualifient toute solidarité avec les Palestiniens (y compris BDS) d’antisémite, etc. Cependant, un troll sur Facebook s'est dévié de ce script habituel. Il s'est acharné sans s'arrêter jusqu’à ce que je le bloque. J’appellerai ce troll D – D, un ancien élève qui a obtenu son diplôme plusieurs années avant que je ne sois embauché. S’autoproclamant « étudiant en sciences politiques specialisé en relations internationales », il m’a fièrement expliqué : « Je comprends les concepts de dissuasion nucléaire, capacité de deuxième frappe, destruction mutuelle assurée, frappes terrestres, aériennes, maritimes », en supposant qu’un cours de relations internationales de niveau 200 lui fournisse une sorte d’expertise.
Dans le contexte de cette conversation, j’ai posté, le 31 décembre 2023,sur ma page Facebook :
Plus de 20 000 personnes assassinées, plus de 50 000 personnes blessées, au moins 85 % de la population (environ 2 millions de personnes) déplacée. Si vous n’appelez pas ce qu’Israël fait à Gaza un génocide, alors vos mains sont tachées de sang. Il ne faut pas arrêter de parler de la Palestine. Et les termes que nous employons sont importants.
D a répondu : « Il n’y a pas de génocide. Arrêtez votre diffamation de sang. » Il a poursuivi en répétant des points de discussion plus génériques de la hasbara, terminant son long message (plein de fautes de frappe) en écrivant : « C'est drôle que le directeur de la DEI [nom] aime ce post. Cela prouve simplement que la DEI est pour les noirs, les gays et les latinos et qu’elle s'en fiche des étudiants juifs [sic]. » Il a poursuivi dans un post ultérieur en écrivant directement à mon collègue : « [nom] Je suis sûr que votre étudiant juif se sent très en sécurité sur le campus sachant que votre programme DEI ne les prend pas en compte. Les rapports récents concernant la priorité donnée aux Noirs, aux Latinos et aux homosexuels et le rejet complet des Juifs et des Asiatiques sont très évidents dans votre action au sein de ce poste.
Comme la plupart des collèges et universités aux États-Unis, le collège où j’enseigne est une institution principalement blanche (PWI) et le membre du personnel auquel D fait référence est l’un des rares membres noirs du corps professoral et du personnel de notre campus. Dans ses commentaires, on peut penser que D citait l’étude déficiente de Heritage Foundation dont nous avons parlé plus haut. Une étude qui a donné aux· juifs sionistes mécontents, un coupable pour affronter leur sentiment de marginalisation : les étudiants noirs, latins et queer. Bien que je ne connaisse pas les inspirations de D, cette attaque contre la DEI fait écho aux attaques précédentes contre la discrimination positive. Un ressentiment envers une minorité marginalisée, qui occuperait l’espace auquel ils estiment eux-mêmes avoir droit. Dans le cas des étudiants et des anciens élèves juifs qui s’identifient comme sionistes, ce ressentiment est enraciné dans la suprématie blanche et le racisme anti-Noirs, ainsi que dans l’homophobie.
J’ai réfléchi à cet échange sur Facebook quelques jours plus tard, lorsque Claudine Gay a été contrainte de démissionner de l’université de Harvard. Dans le cas de Gay et de Liz Magill de l’Université de Pennsylvanie, l’antisémitisme a été instrumentalisé et manipulé par les conservateurs anti-DEI.En interrogeant Gay et Magill, la représentante Elise M. Stefanik a affirmé que scander « de la rivière à la mer » et « Intifada » était un appel au génocide juif. Malgré la fausseté de ces affirmations, les deux présidents ont ensuite été accusés de ne pas en faire assez pour protéger les étudiants juifs sur le campus. Lorsque Gay a refusé de suivre l’exemple de Magill et de démissionner, elle a été accusée de plagiat, une accusation que certains chercheurs dans son domaine des sciences politiques trouvent discutable.
Indépendamment de la capacité de Gay à défendre correctement sa position lors de l’interrogatoire de Stefanik ou de la légitimité de cette allégation de plagiat, le fait que cette croisade particulière ait été menée par Christopher Rufo, qui a initié l’attaque de la droite contre la théorie critique de la race, devrait nous faire réfléchir. Dans une interview avec Politico sur sa stratégie consistant à faire taire le discours pro-palestinien sur les campus universitaires, Rufo a expliqué : « J’ai utilisé le même manuel sur la théorie critique de la race, sur l’idéologie du genre, sur la bureaucratie DEI. Compte tenu de la structure de nos institutions, il s'agit d'une stratégie universelle qui peut être appliquée par la droite à la plupart des questions. Nous avons démontré que cela peut marcher. Le commentaire de Rufo rend la réalité très claire : la censure des voix palestiniennes et antisionistes n’a rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme. C'est en réalité une stratégie à long terme qui vise à semer la panique à créer une indignation conservatrice qui se traduira en attention, en dons et en votes.
Aujourd’hui, nous assistons à une intensification de ces initiatives. En raison de la pression exercée par les bailleurs de fonds, les pourparlers des artistes et des écrivains palestiniens sont annulés et leurs œuvres d’art désinstallées. L’Université hébraïque a sanctionné l’éminente universitaire palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian. Dans les universités américaines, les universitaires palestiniens et les spécialistes de la Palestine sont de plus en plus attaqués. Par exemple, pendant des années, les campagnes de diffamation menées par les sionistes ont ciblé des universitaires comme Joseph Massad, Nadia Abu El-Haj et Paul Hadweh, en plus de Steven Salaita. Depuis août 2023, Huda Fakhreddine, professeure agrégée de littérature arabe à l’Université de Pennsylvanie, a été doxée, harcelée et menacée par des sionistes, en grande partie à cause de son travail en tant que membre du comité d’organisation 2023 du festival Palestine Writes Literature.
Au cours des trois dernières années, Pal Writes s’est « consacré à la célébration et à la promotion des productions culturelles d’écrivains et d’artistes palestiniens ». Après deux ans d’événement virtuel, le festival a accueilli 120 artistes et conférenciers pendant trois jours à l’Université de Pennsylvanie à la fin du mois de septembre 2023. Fakhreddine s’est associé au festival, en tant que lien institutionnel avec le campus de Penn. Avant même le début du festival, des donateurs universitaires sionistes, ainsi que des organisations comme l’Anti-Defamation League (ADL), la Fédération juive, leConseil des relations avec la communauté juive (JCRC) et Hillel ont accusé les organisateurs et les participants du festival d’être antisémites simplement parce qu’ils ont fait entendre la voix des Palestiniens. Depuis le festival, les attaques contre Fakhreddine se sont poursuivies et intensifiées. De plus, depuis le 7 octobre, le nombre de professeurs ciblés publiquement a augmenté, notamment Amin Husain, Abdulkader Sinno, Lara Sheehi et Jairo Fúnez-Flores, pour n’en nommer que quelques-uns. Dans tous ces cas, l’antisémitisme est utilisé comme une arme pour faire taire toute critique d’Israël et tout soutien à une Palestine libre.
Ne vous trompez pas : l’antisémitisme est en hausse aux États-Unis (et dans le monde entier). Du rassemblement « Unite the Right » de 2017 au massacre de Tree of Life à Pittsburgh en 2018, les années Trump ont rendu visible ce que ressentaient depuis longtemps de nombreux Juifs américains. Nous sommes peut-être assimilités par la blancheur à certains égards, mais nous restons toujours « autres ». Alors que de nombreux Américains juifs considèrent cette relation ambivalente à la blancheur comme un rappel que l’injustice n’importe où est une menace pour la justice partout, d’autres utilisent l’antisémitisme comme une arme contre les personnes les plus vulnérables et les plus privées de leurs droits (l’attaque de D contre la DEI, en général, et les étudiants noirs, latino-américains et queer, en particulier). Ceci, tout comme l’État colonial d’Israël, rend en fait les Juifs plus dangereux.
La seule façon de lutter contre l’antisémitisme, ainsi que l’islamophobie, toutes les formes de racisme, d’homophobie, de misogynie, de transphobie, etc., est de passer par des mouvements de solidarité. Nous vivons une époque critique. Le génocide à Gaza est un test décisif qui marquera ce qui sera possible à l’avenir. Le peuple juif, à la fois aux États-Unis et dans le monde entier, saisira-t-il cette occasion d'être solidaire des Palestiniens et exiger la fin de l’occupation, de l’apartheid, du nettoyage ethnique et de l’anéantissement ? Ou vont-ils s’aligner sur le pouvoir et travailler au service de la suprématie blanche ? On m’a traité de « kapo » assez de fois pour savoir qu’il ne faut jamais s’en servir comme d’une arme ou d’une insulte. Mais l’histoire ne regardera pas favorablement en arrière les Juifs sionistes qui utilisent ce moment pour l’appel à la liberté des palestiniens et discréditer le travail essentiel d’équité, y compris le démantèlement des projets de DEI et l’utilisation de l’antisémitisme comme arme. Le monde nous regarde et le monde n’oubliera pas.
Brillant ! Cet essai devrait être lu obligatoirement dans tous les collèges et lycées.