Le désir et la cuisine palestinienne

15 Mars, 2022 -
Le désir et la cuisine palestinienne (photo courtoisie de Tanoreen).

 

Attendez-la et ne vous pressez pas.
Si elle arrive en retard, attendez-la.
Si elle arrive tôt, attendez-la.

-Les leçons du Kama Sutra, Mahmoud Darwish

 

Fadi Kattan

 

Quand je pense au désir dans la cuisine, je pense à cette sensation de picotement quand on développe une recette et qu'on attend... qu'elle passe de l'idée à la préparation proprement dite... puis au moment de la cuisson. Puis le service à table. Et après cela, la première fois que vous la goûtez. Et la première fois que vous la servez et que vous attendez que les premiers invités la goûtent.

Rien de plus que cette strophe du poème de Mahmoud Darwish mise en musique par le fabuleux Trio Joubran pour saisir ces instants d'attente. Et pourtant, il parle d'un homme qui attend une femme, pas d'un cuisinier dans une cuisine sombre qui attend un plat.

 

 

À travers les âges, les chefs étaient perçus comme un personnage un peu étrange, blotti dans une cuisine sombre, souvent dans les demeures nobles ou royales, au sous-sol. Ils faisaient appel à une sorte de magie mystique et impie pour créer des plats servis en grande pompe à la table d'hôtes.

Le désir d'exceller d'abord, puis le désir de partager le plaisir des saveurs avec les invités et le monde entier est un instant qui remplit le chef d'une telle anxiété qu'il en devient souvent fou. Cet instant les pousse à bout et une frénésie de sentiments et de pensées se précipite dans l'esprit et le système nerveux du chef en cet instant où culmine la cour du plat et le profond désir de plaire.

Malgré leurs airs de grosses brutes et de bêtes insensibles, les chefs sont une drôle de race, mélangeant beaucoup de ce commandement autoritaire quasi rigide dans une cuisine et en eux-mêmes étant je crois les êtres les plus sensibles et fragiles.

Les Arts de la table sont proches du Kama Sutra, bien qu'avec des relations, des protagonistes et des éléments différents, le rythme et l'attente, l'accumulation et la tension, la rencontre des saveurs, des textures et de l'âme dans un plat, la révélation du plat final et ensuite le plaisir, les chefs deviennent les créateurs et en même temps les âmes nues qui attendent le plaisir de partager avec les autres une illumination.

Le désir est l'expression de nombreux états et contextes et pourtant, dans la cuisine, ils se fondent en un seul : le désir d'une mère de partager la nourriture avec son enfant, le désir d'un amant de séduire, le désir d'un patriarche d'assurer la perpétuation d'un métier, le désir d'un enfant de s'amuser et le désir de recréer un goût par nostalgie avec le désir intense de créer pour l'avenir une idée éclairée, le tout enveloppé dans un petit récipient, un plat, une assiette, un bol qui contient tous ces désirs.

Et l'envie de Beauté ! Quel chef ne cherche pas à arranger, préparer, habiller son assiette dans ses plus beaux atours ? Quel chef n'agonise pas avant un rendez-vous sur le choix de la couche extérieure de son plat, sur les détails les plus fins de la vêture et le détail le plus précis de la garniture ? Quel chef ne sent pas, dans un moment de folie, que son plat n'est pas assez bon pour ce rendez-vous et, à cet instant, ne laisse pas libre cours à ses envies primitives en déconstruisant le plat, en éclaboussant la sauce dans un élan digne d'un créateur frappé par le désir ?

 

 

Le chef et hôtelier franco-palestinien Fadi Kattan est devenu la voix de la cuisine palestinienne moderne. Issu d'une famille bethléemite qui a cultivé du côté maternel une culture francophone et du côté paternel une culture britannique avec des passages en Inde, au Japon et au Soudan, la cuisine et le savoir-faire de Fadi combinent des influences du monde, un désir de perfection et une passion pour le terroir local.

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