L'auteur affirme que le fait de qualifier d'« antisémitisme » la lutte pour les droits des Palestiniens perpétue le génocide, étouffe la liberté d'expression et rend les Juifs moins en sécurité.
The Threshold of Dissent: A History of American Jewish Critics of Zionism
Marjorie N. Feld
NYU Press 2024
ISBN 9781479829316
Stephen Rohde
Lorsque la Cour pénale internationale a émis, le 1er novembre, des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, M. Netanyahu a accusé les juges de « haine antisémite à l'égard d'Israël ».
Après le 5 novembre, promettant de réprimer les manifestations sur les campus en invoquant la loi sur l'insurrection afin de pouvoir faire intervenir l'armée américaine, le président élu Donald Trump a averti les collèges et universités américains que s'ils ne mettaient pas « fin à la propagande antisémite », ils perdraient leur accréditation et le soutien financier du gouvernement fédéral.

L'une des tactiques favorites des gouvernements répressifs et des sociétés illibérales pour étouffer la dissidence consiste à stigmatiser les opposants en leur accolant une étiquette qui est méprisée et répréhensible pour tous au moment où elle est utilisée. Hérétiques, blasphémateurs, païens, sorcières, sauvages, communistes, étrangers illégaux, racistes et terroristes sont autant d'exemples d'épithètes péjoratives utilisées pour isoler et diaboliser des groupes et des individus, dans le but de saper leur crédibilité et de les exclure de la discussion d'une question importante en tant que participants illégitimes.
Aujourd'hui, l'une des formes de haine les plus anciennes et les plus virulentes qu'est l'antisémitisme est utilisée comme arme pour réduire au silence l'opposition à la guerre menée par Israël contre les Palestiniens. Si vous critiquez Israël, vous êtes « antisémite ». Si vous condamnez le sionisme, vous êtes « antisémite ». Si un tribunal international composé de 125 pays membres, dédié à ce que Kofi Annan a appelé « la cause de l'humanité toute entière », accuse Israël (ainsi que, comme il est important de le noter, le commandant militaire du Hamas Mohammed Deif) de crimes de guerre, les juges (de France, du Bénin et de Slovénie) sont coupables d'« antisémitisme ».
L'amalgame largement répandu entre l'antisémitisme et l'antisionisme, d'une part, et la critique politique d'Israël, d'autre part, ne se contente pas de limiter la circulation de l'information et d'étouffer le débat libre et ouvert, il rend les Juifs moins en sécurité dans le monde entier.
Dans son assaut contre Gaza, Israël a tué plus de 45 000 Palestiniens (dont 60 % de femmes, d'enfants et de personnes âgées), en a blessé 102 000 autres et a détruit plus de 70 % des habitations. Le conflit armé s'est maintenant étendu à la Cisjordanie et au Liban (où un cessez-le-feu précaire a été conclu en novembre). Par conséquent, les actions d'Israël méritent d'être soumises à un examen approfondi, à un débat et à des protestations, comme pour tout autre pays engagé dans des actes de guerre. Dans ce débat, ni Israël ni son idéologie politique sioniste fondatrice n'ont droit à un passe-droit qui les mettrait à l'abri de toute critique. Mais c'est exactement ce qui s'est produit et continue de se produire lorsque les critiques d'Israël et du sionisme sont qualifiés de façon péjorative d'« antisémites » ou d'« antisionistes ».
[Le 5 décembre 2024, Amnesty International a publié un rapport de 296 pages, basé sur neuf mois de recherches et de témoignages sur le terrain. Le rapport conclut qu'« Israël, par ses politiques, ses actions et ses omissions contre les Palestiniens de Gaza après le 7 octobre 2023, a commis et continue de commettre un génocide ». Télécharger le rapport ici. - NdE]
Les fondateurs d'Israël ont volontairement pris un risque en toute connaissance de cause lorsqu'ils ont créé un État juif, en choisissant les symboles religieux sacrés de l'étoile de David (Magen David) comme insigne officiel du drapeau de la nation et la ménorah comme emblème officiel de l'État, et en désignant l'hébreu comme langue officielle de l'État. En 2018, la Knesset a confirmé et renforcé cela en adoptant une loi désignant Israël comme l'« État-nation du peuple juif ». Le président du comité législatif spécial qui a rédigé la loi l'a décrite comme confirmant simplement « le principe fondateur sur lequel l'État a été établi », à savoir que « chacun peut jouir des droits de l'homme, mais les droits nationaux en Israël n'appartiennent qu'au peuple juif ». Le centre juridique Adalah pour les droits des minorités arabes en Israël a réagi à la loi en notant qu'elle « contient des éléments significatifs appartenant à un système d'apartheid ».
Pourtant, Israël avait été prévenu. Au cours du débat très controversé sur le sionisme au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les antisionistes et les non-sionistes n'ont cessé de répéter que la création d'un État juif constituerait un grave danger non seulement pour les habitants arabes indigènes, mais aussi pour les Juifs du monde entier.
Dans son nouveau livre novateur, The Threshold of Dissent : A History of American Jewish Critics of Zionism, (NY Press 2024), Marjorie N. Feld, professeure d'histoire au Babson College, met au jour le débat vibrant et multiforme qui, au sein des communautés juives européennes et américaines, a accueilli les propositions sionistes à partir de la fin des années 1890. Aujourd'hui, cette histoire complexe a été largement remplacée par une version officielle et aseptisée qui efface obstinément les nombreuses voix juives qui ont alertées sur l'établissement d'une théocratie militarisée avec des arguments fondés.
L'histoire des Juifs contre le sionisme
Theodor Herzl (1860-1904), juif viennois considéré comme le fondateur du sionisme politique moderne, a publié en 1896 un célèbre pamphlet intitulé « L'État juif », dans lequel il défendait l'idée de l'établissement d'un foyer juif indépendant à Sion, en référence à une colline de Jérusalem qui, au fil des siècles, a fini par désigner l'ensemble de la terre d'Israël. Mais comme le démontre Feld avec force détails, avant et même après l'Holocauste, le sionisme a suscité une opposition active au sein de la communauté juive. Les antisionistes s'opposaient à une « entité politique souveraine juive » en Palestine. Les non-sionistes « ont vu la Palestine comme un refuge pour les Juifs pendant l'Holocauste », mais ils se sont opposés à « la construction d'un État juif pour une multitude de raisons, parmi lesquelles la crainte de détruire les communautés arabes/palestiniennes et de déplacer les communautés qui vivaient en Palestine depuis des générations, certains ont également invoqué la croyance en la séparation de l'Eglise et de l'Etat ».
« Les juifs réformés américains, écrit Feld, pensaient que le nationalisme juif pouvait présenter les juifs comme une "race à part" et donc susciter des accusations antisémites de double loyauté », ce qu'un spécialiste de l'histoire juive a qualifié d'« élément essentiel de l'antisémitisme dur ». L'American Jewish Committee (AJC), créé en 1906 pour faire pression et collecter des fonds pour les victimes de pogroms, a très tôt soulevé des objections à l'encontre du sionisme. En 1919, un groupe composé en grande partie de membres de l'AJC a publié une déclaration publique citant un éminent spécialiste de la Bible : « Il n'est pas vrai que la Palestine soit le foyer national du peuple juif et d'aucun autre peuple ». L'érudit prédisait que des « conflits amers et sanglants » étaient « inévitables » si le sionisme se réalisait. Par-dessus tout, les signataires estimaient que le sionisme était « totalement opposé aux principes de la démocratie » et que l'union « de l'Église et de l'État [...] constituerait un bond en arrière de 2 000 ans ». Ils espéraient pour la Palestine un « État libre et indépendant, gouverné démocratiquement, ne reconnaissant aucune distinction de religion, de race ou d'origine ethnique ».
Le Conseil américain pour le judaïsme, fondé en 1942, a maintenu l'antisionisme en vie même au milieu des horreurs de l'Holocauste. « Les membres du Conseil considéraient le sionisme et la création d'une ethnocratie (dans laquelle le pouvoir de l'État est déterminé en fonction de l'identité ethnique) dans l'État juif comme contraires aux véritables enseignements du judaïsme », écrit M. Feld. En juin 1943, dans un article du magazine Life intitulé « Pourquoi les Américains de confession juive s'opposent à la création d'un État juif », le président du Conseil, Lessing Rosenwald, avertit que les « philosophies nationalistes » ont « causé des souffrances indicibles dans le monde, et en particulier aux Juifs ». Il prédit que la création d'un « État religieux autonome » sur une terre qui « a été pendant des siècles une terre sainte » pour le christianisme, l'islam et le judaïsme créerait « des troubles et des conflits ». En 1946, lors d'une émission de radio américaine populaire, Rosenwald a réaffirmé que le Conseil « affirme que les Juifs sont des ressortissants de leurs pays respectifs et ne sont juifs que par leur religion, ils ne sont pas une nation, une race ou un peuple. Le Conseil croit que l'intégration, et non la ségrégation, marque la voie vers l'égalité, la sécurité et le bonheur ». Il a insisté pour que la Palestine ne soit « ni un État juif, ni un État arabe ».
En 1948, le journaliste William Zukerman (1885-1961), auteur de The Jew in Revolt (1937), fonde la Jewish Newsletter. Considérant qu'Israël n'est « pas plus sacré que n'importe quel autre État moderne », il se plaint que « l'absence de critique a été l'une des grandes tragédies d'Israël et [...] seule la critique de ses défauts peut encore le sauver du désastre final ». Cette année-là, avec Albert Einstein, Hannah Arendt et Sidney Hook, Zuckerman signe une tribune dans le New York Times, condamnant le massacre de plus de cent Palestiniens à Deir Yassin par des milices juives, et accusant le groupe militant sioniste de droite Irgoun, dirigé par Menachem Begin, de prêcher « un mélange d'ultranationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale ».
Comme on pouvait s'y attendre, Begin a accusé ses détracteurs d'« antisémitisme ».
Hasbara, la propagande "antisémite" d'Israël depuis la guerre des Six Jours
En 1967, dans la New York Review of Books, le journaliste juif I.F. Stone a averti que « la façon dont nous agissons envers les Arabes déterminera le type de peuple que nous deviendrons : soit, à notre tour, des oppresseurs et des racistes comme ceux dont nous avons souffert, soit une race plus noble capable de transcender la xénophobie tribale qui afflige l'humanité ».
À l'époque, comme aujourd'hui, les défenseurs zélés d'Israël ont mis en place des stratégies agressives pour faire taire toute critique à l'égard d'Israël. En 1974, deux dirigeants de l'Anti-Defamation League, Arnold Forster et Benjamin R. Epstein, ont littéralement intitulé leur livre « Le nouvel antisémitisme » qui, selon Feld, rendait « invisibles les contestations juives de longue date sur Israël et le sionisme ».
Ainsi, décennie après décennie, alors qu'un nationalisme inextinguible soutenu par une force militaire écrasante a étendu l'occupation dévastatrice de Gaza et l'empiétement des colonies en Cisjordanie, Israël a réalisé les pires craintes des antisionistes les plus vocaux, culminant aujourd'hui dans le génocide en cours à Gaza. Et, fidèles à eux-mêmes, les défenseurs d'Israël ont à chaque fois qualifié la moindre opposition d'« antisémitisme ».
Les dangers de l'amalgame entre la critique politique d'Israël et l'antisémitisme sont apparus au grand jour en octobre dernier, lorsque le groupe de travail de l'UCLA chargé de lutter contre l'antisémitisme et les préjugés anti-israéliens a publié un rapport intitulé « Antisemitism and Anti-Israeli Bias at UCLA » (Antisémitisme et préjugés anti-israéliens à l'UCLA). Il suffit de lire le nom même du groupe de travail et le titre du rapport : tous deux mettent dans le même sac « antisémitisme » et « préjugés anti-israéliens ».
Evacuant le problème de l'amalgame, le groupe de travail admet qu'il « a choisi d'utiliser tout au long de notre rapport des termes qui reflètent le nom et le champ d'action du groupe de travail (c'est-à-dire l'antisémitisme et les préjugés anti-israéliens) ». Comme pour s'excuser de ne pas suivre une règle cardinale de la recherche en sciences sociales qu'est la définition des termes de recherches, le groupe de travail se vante du fait que « pour notre enquête, nous n'avons intentionnellement pas fourni de définitions de l'antisémitisme ou des préjugés contre les Israéliens » afin de permettre aux « expériences vécues et aux perceptions » des membres de la communauté juive et israélienne « d'informer la façon dont nous analysons le climat à l'UCLA ». En d'autres termes, l'outil d'enquête de l'UCLA et les « résultats » qui en découlent n'ont délibérément fait aucun effort pour faire la distinction entre ce qu'un participant peut personnellement percevoir comme de l'« antisémitisme » - la haine des Juifs en tant que Juifs - et la réaction de cette personne à ce que d'autres disent sur la nation d'Israël et ses politiques. Et que penser de l'expression non définie « préjugés anti-israéliens » ? Par le choix même de cette étiquette, l'enquête présume que la critique d'Israël constitue un « préjugé ».
En somme, l'UCLA laisse les « expériences et perceptions vécues » non définies, subjectives et non divulguées contaminer l'ensemble du projet. Par conséquent, nous n'avons aucun moyen d'évaluer les diverses « conclusions » du groupe de travail, qui sont les suivantes :
Deux tiers des personnes interrogées ont déclaré que « l'antisémitisme » était un problème ou un problème grave à l'UCLA.
- Les trois quarts des personnes interrogées ont déclaré que le « parti pris anti-israélien » constituait un problème ou un problème grave.
- La majorité des personnes interrogées (70 %) ont perçu le blocage du trimestre de printemps comme une source d'« antisémitisme »
- Trois quarts des personnes interrogées estiment que l'« antisémitisme » est pris moins au sérieux que d'autres formes de haine et de discrimination à l'UCLA.
- Près de 40 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de « discrimination antisémite » à l'UCLA.
- Près de la moitié (49 %) des étudiants de premier cycle interrogés ont déclaré que les assistants d'enseignement avaient eu des comportements incluant des commentaires « offensants ».
Mais quelle proportion de ces chiffres n'avait rien à voir avec des expressions virulentes de haine des Juifs et tout à voir avec la protestation contre les atrocités commises par les Israéliens ? Il est impossible de le savoir.
Ce n'est pas comme si les membres du groupe de travail n'avaient pas conscience du problème de l'amalgame. Le rapport lui-même reconnaît que « la critique des politiques des gouvernements élus ou au pouvoir peut être légitime et protégée ». Mais le problème se pose « lorsque, dans le contexte actuel, ces critiques dérivent vers une discrimination antisémite et anti-israélienne ». Malheureusement, le groupe de travail aurait pu rendre un service public extrêmement utile s'il avait soigneusement conçu une enquête permettant de faire la distinction entre la réaction d'une personne interrogée face à des insultes et des épithètes haineuses à l'égard des Juifs et l'expression de la douleur et de l'indignation face aux massacres de Palestiniens innocents perpétrés par Israël.
Les brefs extraits de réponses individuelles à l'enquête contenus dans le rapport prouvent que de nombreux répondants de l'UCLA ont effectivement confondu la critique politique d'Israël avec l'« antisémitisme » et le « préjugé anti-israélien ». L'une des personnes interrogées a candidement admis qu'« il est également difficile pour les gens de séparer les juifs et la religion d'Israël et des décisions du gouvernement ». Comme exemples de ce qu'ils considèrent comme de l'« antisémitisme », les étudiants ont cité des vidéos et des images de la manifestation faisant référence à « mort à Israël », « Israël = nazis », « brûlez Tel-Aviv », « les Israéliens sont nés en enfer », « vous êtes le terrorisme » et « vive l'intifada ».
Un autre commentaire illustre parfaitement le problème de l'amalgame et de la désinformation :
« Aujourd'hui, en continuant à permettre à des groupes universitaires et à des professeurs de promouvoir une propagande vilipendant Israël, les Israéliens et les Juifs (par exemple en affirmant qu'Israël commet un génocide, ce qui est manifestement faux pour quiconque examine les faits dans la région, et surtout dans un contexte de guerres mondiales et de pays qui commettent de véritables génocides), dans ce qui est un libelle sanglant des temps modernes, le climat antisémite/anti-Israël/antisioniste sur les campus reproduit essentiellement le climat qui régnait dans les universités allemandes avant la Seconde Guerre mondiale, dans l'Allemagne nazie. »
En fait, en janvier dernier, la Cour internationale de justice des Nations unies a estimé qu'il était plausible qu'Israël se livre à un génocide du peuple palestinien à Gaza.
Irene Khan, rapporteuse spéciale des Nations unies
En août dernier, en contraste frappant avec le rapport sans valeur, mais néanmoins dangereux, de l'UCLA, Irene Khan, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, a publié un rapport complet et éclairant intitulé « Global Threats to Freedom of Expression Arising from the Conflict in Gaza » (Menaces globales pour la liberté d'expression découlant du conflit à Gaza). Elle a fait état d'une « série d'assassinats et de détentions arbitraires de journalistes, ainsi que de la destruction d'installations et d'équipements de presse à Gaza », ce qui témoigne d'une « stratégie délibérée de l'armée israélienne visant à réduire au silence les reportages critiques et à faire obstacle à la documentation sur d'éventuels crimes internationaux ».
Mme Khan a constaté que « les interdictions générales de symboles palestiniens, en associant les Palestiniens en tant que peuple au terrorisme ou à l'antisémitisme, les diabolisent et les stigmatisent et cherchent à délégitimer leur lutte de libération ». Elle a noté que « le fait d'assimiler la défense des droits des Palestiniens au terrorisme ou à l'antisémitisme n'est pas seulement une réponse disproportionnée, mais peut indiquer un racisme institutionnel sous-jacent à l'encontre des Palestiniens, violant ainsi les droits de l'homme fondamentaux ».
Par exemple, Mme Khan explique que le chant « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre » « a fait l'objet de restrictions générales de la part de certains États et acteurs privés, au motif qu'il s'agit d'un signe de soutien au Hamas et qu'il témoigne d'une intention génocidaire ou d'une incitation à la violence à l'encontre des Juifs ». Mais Mme Khan souligne que cette interprétation du slogan « a été contestée par des universitaires, des experts en droits de l'homme et des défenseurs de la cause palestinienne, y compris par de nombreux groupes et universitaires juifs qui y voient un appel au droit à l'autodétermination des Palestiniens ». Alors que certains pays occidentaux ont criminalisé ou condamné l'utilisation du slogan, ailleurs « les tribunaux et les autorités chargées de l'application de la loi ont reconnu les différentes significations du slogan et ont refusé d'imposer des interdictions générales ». Elle conclut que « l'interdiction générale ou la criminalisation du simple fait de prononcer le slogan en toutes circonstances est disproportionnée et non conforme à la convention internationale des droits de l'homme ».
En l'occurrence, la section la plus significative du rapport de la rapporteuse spéciale est une explication claire et convaincante de la manière dont, en réponse aux revendications des Palestiniens, « il y a eu une tendance à confondre la critique des politiques d'Israël, qui est un exercice légitime de la liberté d'expression, avec l'antisémitisme, qui est une haine raciale et religieuse contre les Juifs et qui doit être condamnée ».
À titre d'exemple, Mme Khan a examiné le mouvement mondial « boycott, désinvestissement et sanctions », qui impose trois exigences à Israël : mettre fin à l'occupation, garantir l'égalité totale de tous les citoyens et ne pas privilégier les droits découlant de l'identité juive, et respecter et autoriser le droit au retour des réfugiés palestiniens. « Ces trois exigences sont conformes aux obligations internationales d'Israël, qu'il n'a pas respectées jusqu'à présent », note Mme Khan, qui ajoute que « de nombreuses organisations de la société civile et de nombreux individus, y compris certains groupes juifs, soutiennent le mouvement et y participent ».
Néanmoins, alors que le mouvement BDS est qualifié de « discriminatoire » et d'« antisémite » dans certains pays occidentaux, dont l'Allemagne et les États-Unis, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé, après un examen approfondi, qu'un boycott organisé par des manifestants BDS en France était un moyen légitime d'exprimer une opinion politique. Selon Mme Khan, la Cour « a établi une distinction entre l'expression qui sert d'appel à l'antisémitisme et n'est pas protégée par le droit international, et l'expression politique, telle que le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions, qui vise à condamner un gouvernement et est incontestablement protégée par le droit international ». Mme Khan a conclu que cette décision « donne raison au mouvement en tant que moyen valable de protestation et de pression sur les gouvernements ». (La décision de la CEDH est conforme au droit américain. En 1982, dans l'affaire National Association for the Advancement of Colored People v. Claiborne Hardware Co, la Cour suprême des États-Unis a estimé à l'unanimité que, bien que les États disposent d'un large pouvoir pour réglementer les activités économiques, ils ne peuvent pas interdire la défense pacifique d'une cause par le biais d'un boycott à motivation politique, qui est protégé par la Constitution en vertu du Premier amendement de la Constitution).
La rapporteuse spéciale est très claire : « l'antisémitisme est une forme grave de haine religieuse et raciale, et les États et les acteurs privés doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour le combattre ». Mais elle s'empresse d'ajouter qu'il est « vital que la lutte contre l'antisémitisme soit encadrée par les normes internationales en matière de droits de l'homme, afin qu'il y ait une compréhension commune du problème et de ses causes profondes et, par conséquent, des réponses plus efficaces pour l'éradiquer ». Sinon, « il y a un risque que la discrimination contre un groupe vulnérable soit remplacée par une discrimination contre un autre groupe, ce qui, loin de réduire l'antisémitisme, alimentera davantage la haine et l'intolérance ».
La dissidence juive et le sionisme aujourd'hui
Marjorie Feld termine son livre en observant que « [a]u cours du siècle dernier, les dirigeants sionistes juifs américains ont imposé un seuil de dissidence en marginalisant les juifs américains progressistes qui étaient capables de voir la souffrance palestinienne. » Il est probable qu'avec le retour et l'expansion de l'alliance militaire Trump-Netanyahou, nous verrons encore plus de souffrance palestinienne, combinée à une marginalisation encore plus grande de la dissidence. Les gouvernements au pouvoir en Israël et aux États-Unis intensifieront la répression des manifestations et étoufferont l'opposition au nom de la lutte contre l'« antisémitisme » et l'« antisionisme ». En réponse, la société civile, les médias et les institutions dédiées à l'État de droit doivent ignorer ces tactiques de diversion et concentrer l'attention du public sur les atrocités commises par Israël à Gaza et en Cisjordanie.
La Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice auront besoin du soutien de l'opinion publique lorsqu'elles tiendront Israël pour responsable de ses crimes de guerre et de ses crimes contre l'humanité. Au Sénat américain, les efforts du sénateur Bernie Sanders et de plusieurs autres sénateurs visant à adopter trois résolutions communes de désapprobation pour bloquer la vente de 20 milliards de dollars d'armes offensives à Israël ont besoin du soutien de l'opinion publique. Cet effort est soutenu par J Street, Jewish Voice for Peace, le Friends Committee on National Legislation, l'Arab American Institute et le Service Employees International Union. Le SEIU a publié un communiqué déclarant que ses membres « veulent que l'argent des contribuables cesse d'être utilisé pour financer une aide militaire qui permet des attaques contre des civils innocents à Gaza ».
Sanders donne le bon exemple en refusant de se laisser intimider par les injures. Lorsque M. Netanyahou a qualifié les manifestations pro-palestiniennes sur les campus américains d'exemples d'« antisémitisme », M. Sanders a répliqué : « Non, M. Netanyahou, ce n'est pas antisémite...de vous tenir pour responsable de vos actes ».
Alors que le peuple palestinien est anéanti, le moins que nous puissions faire est de risquer d'être qualifiés d'« antisémites » en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin au génocide israélien et à la complicité des États-Unis dans ce domaine.

Excellente analyse nuancée. La citation d'I.F. Stone est opportune et intemporelle.