Les enfants du ghetto : Je m'appelle Adam

14 décembre 2020 -

Elias Khoury

 

Elias Khoury


Enfants du ghetto : Mon nom est Adam
, un roman d'Elias Khoury
Premier d'une trilogie, traduit de l'arabe par Humphrey Davies
Archipelago Books 2019
ISBN : 9781939810137

Archipelago Books, la maison d'édition new-yorkaise à but non lucratif par excellence, a été l'une des premières aux États-Unis à traduire et à publier l'œuvre du romancier libanais Elias Khoury, en commençant en 2006 par son magnifique classique La Porte du soleil(Bab al Shams) - le premier magnum opus de la Nakba ou catastrophe palestinienne de 1948. Khoury poursuit son exploration de la tragédie du XXe siècle avec Mon nom est Adam, une histoire sur l'exode de la Palestine en 1948 :

Longtemps exilé à New York, Adam Dannoun, expatrié palestinien, pensait se connaître. Mais une rencontre avec Mahmoud l'aveugle, une figure paternelle de son enfance, change tout. En enquêtant sur ce qui s'est passé en 1948 à Lydda, sa ville natale, il recueille des histoires qui témoignent de la bravoure, de l'ingéniosité et de la détermination de son peuple face à des difficultés inimaginables.

Un commentaire de Goodreads :

Le lecteur remarquera que ces carnets contiennent des textes incomplets, un mariage de roman et d'autobiographie, de réalité et de fiction, et un mélange de critique littéraire et de littérature... il mélange l'écriture avec le tracé et mêle la narration et la contemplation, la vérité et l'imagination, comme si les mots étaient devenus des miroirs pour eux-mêmes, et ainsi de suite. —Paul Fulcher

Un commentaire de l'auteur :

C'est par hasard que ces cahiers sont entrés en ma possession et j'ai longuement hésité avant de décider de les envoyer à Dar al-Adab à Beyrouth pour publication. Pour être honnête, mon hésitation tenait à ce sentiment ambigu qui mêle admiration et envie, amour et haine. J'avais rencontré l'écrivain et héros de ces textes, Adam Dannoun - ou Danoun - à New York, où j'enseigne à l'université. -Elias Khoury

 La volonté

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Children of the Ghetto, My Name is Adam d'Elias Khouryest disponible sur Archipelago.

Extrait de "Les enfants du ghetto, je m'appelle Adam".

Par Elias Khoury

Assis derrière ma fenêtre du cinquième étage, je regarde la neige tomber sur New York. Je ne sais pas comment décrire mon sentiment face à cette fenêtre rectangulaire à travers laquelle j'observe mon âme se briser sur la vitre. Elle est mon miroir, j'y vois mon image se perdre au milieu des autres images de la ville. Je sais que New York sera ma dernière station, c'est ici que je vais mourir, c'est ici que je serais incinéré et mes cendres seront répandues dans l'Hudson. Voilà ce que j'écrirai dans mon testament. Il est vrai que je ne dispose pas de tombe au pays qui n'est plus le mien et que je ne pourrais pas réclamer à y être enseveli en embrassant les âmes de mes ancêtres. Dans ce fleuve, j'embrasserai les âmes des étrangers, j'irai à la rencontre de ceux qui, dans leur rencontre avec d'autres étrangers, trouvent une parenté de substitution aux liens perdus. Je suis conscient de mettre en prose deux vers d'Imru'l-Qays d'une façon qui n'a rien de poétique, mais que m'importe ! Personne ne lira ces mots après ma mort, car je demanderai que ces carnets soient brûlés et dispersés avec mes cendres dans le fleuve. C'est le destin des hommes et des mots, puisque les mots meurent aussi et laissent échapper un gémissement comme celui qui jaillit de notre âme lorsqu'elle se disperse dans le brouillard de la fin.

J'ai fait de cette fenêtre mon miroir afin de ne pas avoir à regarder mon visage dans un vrai miroir. Mon visage se confond avec les autres visages et mes traits s'estompent, je construis ainsi une fin qui m'a choisi et je mets fin au rêve d'écriture d'un roman que je ne parviens pas à écrire et dont j'ignore la raison pour laquelle je dois le faire. J'ai perdu le romain à l'instant même où j'ai cru l'avoir trouvé. C'est ainsi que les choses perdent, c'est ainsi que Dalia a disparu de ma vie à l'instant même où j'ai cru pouvoir écrire ma vie dans ses yeux, où j'ai accepté d'avoir un enfant avec elle et d'entamer notre vie commune. Le début, ou ce que nous avions pris pour le début, était en fait la fin. Or le véritable début qui m'a conduit à quitter mon pays ressemblait à un faux début quand j'ai cru pouvoir remplacer la vie par l'écriture de la vie. Cette illusion m'a été inculquée par mon ami, le réalisateur israélien, qui parlait la langue que j'avais décidé d'oublier et qui m'a permis de croire que la vie de n'importe quel homme pouvait constituer un roman ou un film.

J'ai réuni mes carnets dans ce dossier, je demanderai qu'ils soient brûlés et que les cendres soient mises dans une bouteille. Je demanderai à ma jeune amie de les mêler à mes propres cendres avant de les disperser dans le fleuve. Étrange, cette relation avec la jeune fille qui est venue de nulle part et qui est demeurée nulle part ! M'a-t-elle aimé moi, ou a-t-elle aimé son professeur à l'université de New York ? Aimait-elle l'idée de l'amour au point de nous remplacer tous les deux par la seule idée de l'amour ?

En décidant d'émigrer à New York, j'avais décidé de tout oublier, j'étais déterminé aussi à changer de nom à l'instant même où je serais naturalisé Américain. Il semble pourtant que je vais mourir avant que cela n'arrive. Non, je ne suis pas malade et rien ne me pousse à me sentir obsédé par la pensée de la mort. Ce sont habituellement les malades et les vieux qui meurent et je ne suis ni vieux ni malade. J'ai dépassé la cinquantaine, je suis parvenu au dernier tournant de ma vie et mon appétit de vie stagnait à cause d'une femme qui, dans un moment de folie, avait décidé de me quitter et d'oublier son amour pour moi. Elle avait bien raison, il faut que nous abandonnions les choses avant qu'elles ne nous rejettent. Pourtant, le désir s'insinue de nouveau dans mes articulations et là je ne parle pas seulement d'appétit sexuel, mais du désir qui m'envahit quand je bois du fin ou de la vodka, je sens un fourmillement dans mes lèvres et ma cage thoracique palpite dès la première goutte que j'avale.

Un appétit ressuscité pour la vie, une station sur le rivage de la mort, un contraste qui me laisse perplexe, je sais pourtant que la mort sera victorieuse en fin de compte, car elle constitue un droit acquis et n'a donc pas le droit de perdre. 

La mort dont j'entrevoir le spectre n'est pas engendrée par le désespoir, car j'ai dépassé ce stade et je ne suis ni désespéré ni solitaire. J'ai provoqué mon propre désespoir, j'en ai fait une ombre pour me prémunir contre la naïveté et la vanité. Le choix de la solitude était délibéré. Dès que je terminais mon travail, je rentrais dans ma chambre et je me mettais à écrire. L'écriture est ma solitude, elle sera mon unique adresse, je n'ai pas réussi à écrire le romain auquel j'aspirais, car je voulais créer une grande métaphore, une métaphore cosmique, celle d'un modeste poète arabe de l'époque omeyyade qui est mort comme meurent les héros. J'ai soudain découvert que les métaphores ne servaient à rien. New York m'a appris que rien dans notre univers n'était authentique ou vrai, tout était emprunté — c'est, du moins, ce qui me semble —, pourquoi alors écrire une nouvelle métaphore qui viendrait s'ajouter à celles des autres ? 

J'ai d'abord écrit la métaphore que j'ai choisie pour exprimer l'histoire du pays d'où je venais, puis, en décidant que la métaphore ne servait à rien, au lieu de déchirer mes feuillets, j'ai reformulé certains passages pour raconter les circonstances et les raisons de la naissance de l'idée. Ensuite, fulminant de rage, j'ai décidé d'abandonner la métaphore, de cesser d'écrire le roman et de m'occuper de ma propre histoire afin d'écrire la stricte vérité après en avoir évacué les symboles et les métaphores. J'ai probablement échoué à atteindre mon nouvel objectif, mais, chemin faisant, j'ai découvert beaucoup de choses que j'avais oubliées ou qui s'étaient noyées dans les méandres de ma mémoire. La mémoire est un puits inépuisable, elle apparaît et disparaît pour nous aider à oublier lorsque nous n'oublions pas ou pour nous aider à nous souvenir lorsque nous oublions. Enfin, je n'en sais trop rien !

Je ne me souviens pas d'avoir jamais lu quelque chose à propos des liens entre colère et écriture, mais la décision d'écrire mon histoire m'est venue à cause de la colère, une colère sauvage qui m'a envahi pour deux raisons non corollaires : la première étant ma rencontre avec Ma'moun, l'aveugle, qui m'a abasourdi avec l'obscure histoire de mes parents. Au début, cette histoire ne signifiait pas grand-chose pour moi, mais elle a commencé à prendre des dimensions faramineuses après le passage du réalisateur israélien Haïm Zilberman au restaurant et son invitation à aller voir son film Regards croisés. La deuxième raison est l'histoire en miettes de mon amie Dalia. J'ai vu comment l'auteur de La Porte du soleil se tenait près du réalisateur israélien chauve, se présentant comme un expert de l'histoire palestinienne et mentant ostensiblement.

Les deux hommes ont beaucoup menti, je n'ai pas pu me retenir de leur crier au visage en quittant la salle. Sarang-Li, qui m'accompagnait, s'est précipitée derrière moi, m'a pris le bras et m'a traîné au café. Mais, au lieu de manifester une certaine solidarité avec moi, elle a entrepris de m'expliquer que j'avais eu tort.

Oui, je me suis trompé, et ce que j'ai écrit constitue le registre de mes erreurs. J'ai écrit la colère et l'erreur, j'ai dit que c'était mon devoir, je devais finir ma vie par un conte. En somme, nous tous vivons pour devenir des contes. J'ai beaucoup écrit pour constater en fin de compte que le silence était plus expressif que la parole, et c'est bien pourquoi je veux que mes mots soient brûlés.

 Pourtant, je suis un lâche, je suis incapable de me suicider, d'envoyer ces carnets au suicide, ou de retourner dans mon pays pour renouer avec mon âme, comme me l'avait conseillé Carma, mon amie qui était comme une sœur pour moi avant de disparaître soudain. Je l'avais croisée par hasard à New York et je lui avais promis de rentrer au pays. Mais après tout, je ne suis peut-être pas sincère, je ne suis probablement pas sincère, je n'en sais rien. C'est pourquoi j'ai remis une courte lettre à Sarang-Li en lui demandant de ne l'ouvrir que s'il m'arrivait malheur et dans laquelle je lui confiais la mission que j'ai été incapable d'assumer moi-même en lui demandant de brûler ces carnets après ma mort.

Je ne suis pas certain de vouloir que ces papiers soient dévorés par les flammes, mais il est trop tard maintenant et c'est tant mieux. Je suis assuré par contre que le petit soleil qui a illuminé un coin d'obscurité au fond de mon âme se comportera comme il conviendra.

J'ai beaucoup hésité avant de décider de ne pas envoyer ces carnets à une maison d'édition arabe, non parce que j'estimais que mes écrits étaient sans valeur, mais parce que j'estimais que mes écrits étaient sans valeur, mais parce que je suis déçu par les liens entre l'univers de l'écriture et celui de la diffusion, car les écrivains se bousculent pour assurer la pérennité de leur nom. Je ne crois pas à l'éternité, ni celle des âmes ni celle des mots. Tout n'est que vanité et nous sommes la vanité des vanités comme l'a dit Salomon. Je ne comprends pas que les poètes et les écrivains aient eu le culot d'écrire après la Cantique des Cantiques et l'Ecclésiaste ! L'écrivain qui était à la fois prophète, monarque et poète, l'amoureux qui avait aimé toutes les femmes, le souverain qui avait régné sur les royaumes des djinns, a écrit que tout était vanité. Pourquoi irais-je ajouter ma vanité à la sienne ?

Je suis assis seul derrière ma fenêtre ouverte sur les miroirs de la neige, je respire le blanc et je prête l'oreille au hurlement du vent qui souffle sur les rues de New York. J'avale une gorgée de vin, j'aspire la fumée de ma cigarette jusqu'au fond de mes poumons. J'ouvre mes carnets, je lis et je sens comme un goût d'échardes dans ma gorge. Je ferme la fenêtre, puis je ferme les yeux. Mon histoire est comme les épines, ma vie n'est que mots, et mes mots ne sont que la poursuite du vent.

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Elias Khoury, tout comme Mahmoud Darwish, est un artiste qui donne sa voix aux exilés enracinés et aux réfugiés piégés, aux frontières qui se dissolvent et aux identités qui changent, aux demandes radicales et aux nouveaux langages. Dans cette perspective, l&#039;œuvre de Khoury fait à Mahfouz un adieu inévitable et pourtant profondément respectueux.  Commander ici .  - Edward SaidElias Khoury, tout comme Mahmoud Darwish, est un artiste qui donne sa voix aux exilés enracinés et aux réfugiés piégés, aux frontières qui se dissolvent et aux identités qui changent, aux demandes radicales et aux nouveaux langages. Dans cette perspective, l'œuvre de Khoury fait à Mahfouz un adieu inévitable et pourtant profondément respectueux. Commandez ici.

- Edward Said

"Yalo établit Khoury comme le genre de romancier dont le nom est inséparable d'une ville. Los Angeles a Joan Didion et Raymond Chandler, et Istanbul, Orhan Pamuk. La belle et résiliente ville de Beyrouth appartient à Khoury." A commander ici.

-Laila Lalami, critique littéraire du Los Angeles Times

"Aucun écrivain libanais n'a réussi mieux qu'Elias Khoury à raconter l'histoire du Liban ... . Khoury est l'un des romanciers les plus novateurs du monde arabe." A commander ici.

-Washington Post Book World

Elias Khoury, né à Beyrouth, est l'auteur de treize romans, quatre volumes de critique littéraire et trois pièces de théâtre. Il a reçu le prix Palestine pour Gate of the Sun, qui a été nommé meilleur livre de l'année par Le Monde Diplomatique, The Christian Science Monitor et The San Francisco Chronicle, et un livre remarquable par le New York Times. Yalo de Khoury , White Masks, Little Mountain, The Journey of Little Gandhi et City Gates sont également disponibles en anglais. Khoury est un professeur distingué d'études arabes et du Moyen-Orient à l'Université de New York, et a enseigné à l'Université de Columbia, à l'Université libanaise, à l'Université américaine de Beyrouth et à l'Université libanaise américaine. As Though She Were Sleeping a reçu le premier prix français du roman arabe.

Auteurs arabesElias KhouryLibanPalestine

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