Pourquoi les non-arabes devraient lire "Le retour" de Hisham Matar

3 août 2017 -

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Jordan Elgrably

 

Il ne s'agit pas tant d'une critique que d'une appréciation. Le titre que j'ai choisi suggère que peu de gens pourraient ne pas bénéficier de l'humanisation de "l'autre" ? Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez vu un film ou lu un livre et que vous vous êtes identifié à un protagoniste ostensiblement très différent de vous ? Échappant au prisme étroit de votre propre conscience, vous êtes devenu totalement empathique, imaginant que les défis et les difficultés rencontrés par ce protagoniste étaient les vôtres. Vous êtes devenu cette personne. L'empathie à ce niveau étire l'esprit ; c'est aussi un antidote pratique contre la dépression, car en sortant de soi-même, on se sent plus grand que son ego. Vous réalisez que vous n'êtes pas vos sentiments, mais quelque chose de bien plus grand.

Cette observation étant faite, n'est-il pas regrettable que les Juifs et les Arabes (pour ne choisir qu'une relation conflictuelle) apprennent à se méfier les uns des autres ? C'est particulièrement vrai en Israël et en Palestine, où les Arabes considèrent les Juifs comme une colonie de peuplement qui a confisqué ce qui était la Palestine, et où les Israéliens apprennent dès leur plus jeune âge que les Arabes sont des ennemis de l'État.

Mais les Juifs des États-Unis apprennent également à se méfier des Arabes. C'était déjà le cas bien avant le 11 septembre et c'est le résultat de la prolifération des stéréotypes de terroristes arabes dans le cinéma, la télévision et les médias d'information. Il se peut également que les Arabes américains considèrent les Juifs comme des membres d'une classe privilégiée aux États-Unis, en raison de leur importance dans de nombreux domaines. Ils ne peuvent également s'empêcher de remarquer le soutien indéfectible de l'Amérique à Israël (en grande partie grâce au lobbying de l'AIPAC).

Cette méfiance mutuelle n'a été qu'exacerbée par nos guerres au Moyen-Orient, nos amitiés perfides avec l'Arabie saoudite et Israël (ces deux pays nous ont espionnés et ont tué des Américains), et la rhétorique antimusulmane qui est devenue monnaie courante pendant la campagne présidentielle de Donald Trump.

The Return est publié par Penguin.

Vous pouvez voir à quel point il est facile de se retrancher dans une vision étroite du monde en s'identifiant fortement à son propre peuple. C'est pourquoi toute expérience qui vous permet d'élargir votre conscience et de sortir de cette vision est une occasion à ne pas manquer. Et c'est pourquoi je vous recommande de lire Le retour.

Le romancier libyen international Hisham Matar a publié ces mémoires sur son retour en Libye après la révolution de 2011, plus de dix ans après la disparition de son père Jaballa par les hommes de main de Qadaffi. Je qualifie Matar d'"international" car s'il est né à New York alors que son père y était diplomate, il a également vécu de nombreuses années de sa vie au Caire et à Londres. Malgré le succès de ses romans et autres publications en anglais (traduits dans de nombreuses autres langues), il se considère toujours comme un exilé, et il n'est pas certain qu'il se sente un jour complètement chez lui, où qu'il aille.

Le Retour n'a rien à voir avec Israël et la Palestine, et ne fait d'ailleurs aucun commentaire sur le clivage judéo-arabe. Le livre est à la fois très politique, puisqu'il condamne les régimes despotiques en Libye et en Égypte par exemple, mais aussi apolitique, puisqu'il est entièrement consacré à l'amour d'un fils pour son père et à sa recherche de la vérité sur sa disparition. Le récit de Hisham Matar est celui d'un jeune homme réfléchi, un écrivain, qui rumine la nature de ses relations avec sa mère, son père, son frère Zaid et ses nombreux proches, dont certains qu'il tente de libérer de la prison infernale de Kadhafi, Abu Salim.

En fin de compte, la plus grande réussite de The Returnest d'humaniser son auteur et sa famille, ainsi que tous les Libyens opposés à la dictature brutale de Kadhafi (avec un examen de la responsabilité de l'Égypte dans la disparition du père de Matar). Il suit l'opprimé dans sa lutte contre l'oppression et le terrorisme de l'État. Je pense qu'après avoir lu ce livre, vous deviendrez au moins plus conscient de la façon dont les vies arabes ressemblent aux vôtres et (on ne peut que l'espérer), plus empathique dans le processus.

Le Retour vous laisse le sentiment que nous sommes tous ensemble dans ce monde, et que nous devons nous efforcer de défendre les droits de l'homme et d'appeler à la lumière partout où nous trouvons l'obscurité.

 

L'auteur Hisham Matar avec l'un de ses traducteurs, Muhammed Abd-Einaby.
Hisham Matar et son traducteur arabe, Muhammed Abd Elnaby.

Jordan Elgrably est un écrivain et traducteur américain, français et marocain dont les récits et la textes créatifs ont été publiés dans de nombreuses anthologies et revues, comme Apulée, Salmagundi et la Paris Review. Rédacteur en chef et fondateur de The Markaz Review, il est cofondateur et ancien directeur du Levantine Cultural Center/The Markaz à Los Angeles (2001-2020). Il est l'éditeur de Stories From the Center of the World : New Middle East Fiction (City Lights, 2024). Basé à Montpellier, en France, et en Californie, il écrit sur Twitter @JordanElgrably.

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