L'histoire de Youssef Salem, nominé pour le Goncourt

 

Comédie qui réfléchit sur la culture algérienne, les liens familiaux, l'immigration, le mensonge et la littérature, Youssef Salem a du succès, réalisé par Baya Kasmi, sortira en France le 18 janvier 2023.

 

Laëtitia Soula

"Youssef Salem a toujours réussi à tomber à côté de la plaque dans sa carrière d'écrivain, mais les ennuis commencent lorsque son nouveau roman rencontre le succès, car cette fois, Youssef s'est inspiré de ses intimes, pour le meilleur et surtout pour le pire. Il doit maintenant à tout prix s'assurer que son livre ne tombe pas entre les mains de sa famille."

Tel est le pitch de la nouvelle comédie française Youssef Salem à du succès, réalisée par la talentueuse Baya Kasmi. Scénariste prolifique, lauréate du César du meilleur scénario original pour le film de Michel LeClerc Le nom des gens(2011), Baya Kasmi réalise Youssef Salem avec ingéniosité et brio, aidée en cela par un casting inspiré.

 

 

Youssef Salem, interprété par Ramzy Bedia, forme un duo attachant avec Lise, son éditrice (Noémie Lvovsky). Désemparé par le succès inattendu de son roman Le choc toxique, dans lequel il dépeint de manière à peine voilée les travers de sa famille, il est prêt à tout pour empêcher ses parents de le lire. " Quand un écrivain naît dans une famille, la famille est finie ", prononçait le regretté Philip Roth : c'est l'un des points de départ du film, qui dépeint l'incroyable aventure d'un fils d'immigrés algériens en France - un écrivain qui, contre toute attente, est présélectionné pour le Goncourt, la distinction littéraire la plus convoitée de France.

Ce qui devrait être une onction devient cependant un conflit pour l'auteur qui, à 45 ans, vit dans le mensonge afin d'épargner l'embarras à ses parents. Il leur fait croire, par exemple, qu'il vit toujours avec sa compagne, alors qu'ils se sont séparés deux ans plus tôt ; et il fait relire à son père, passionné de langue française, des textes qu'il remplit volontairement de fautes afin qu'il puisse les corriger. De la même manière, sa sœur lesbienne convainc ses parents que son compagnon est son colocataire.

Parmi la brillante galerie de personnages et les acteurs qui les incarnent, citons Lise, la sœur de Youssef, incarnée par Melha Bedia (la sœur de Ramzy Bedia dans la vraie vie) ; les parents de Youssef, joués par Abbes Zahmani et Tassadit Mandi ; et la délicieuse Vimala Pons dans le rôle de Léna, la partenaire romantique de Youssef.

Fidélité familiale et clichés

En apparence une comédie, le film offre néanmoins une riche réflexion sur la question sérieuse des liens familiaux. Le réalisateur pousse le conflit de la loyauté familiale jusqu'à sa limite, où il s'enflamme. Le drame familial est une source comique qui tire parti des nombreux clichés de la culture algérienne, la famille Salem jouant avec les injonctions et les normes de la société - comme être hétérosexuel, travailleur et honnête, et avoir des enfants.

Le film traite avec force des non-dits et des tabous autour de la sexualité. En fait, le "choc toxique" qui donne naissance à l'intrigue n'est autre que le péché d'avoir eu une relation sexuelle avant le mariage - les rapports sexuels avant le mariage peuvent entraîner, et ont souvent entraîné, la mort des amants. Il y a la terrible honte des désirs et des pulsions, ou "chouma" - une honte profonde que beaucoup d'enfants ressentent lorsque les adultes ne nous donnent pas les mots pour expliquer certains phénomènes, qu'il s'agisse de masturbation, de travestissement ou d'attirance homosexuelle avec lesquels nous sommes liés d'une manière ou d'une autre. Une honte indicible entoure ces sentiments ou comportements non exprimés, que nous cachons comme un lourd secret. Selon Kasmi, en traitant des tabous, le film montre "comment parfois le mensonge est une forme de liberté."

Ne décevez pas vos parents

L'honneur peut également être entaché par la déception de ses parents, qui ont travaillé si dur pour reconstruire leur Algérie natale après sa guerre d'indépendance contre la France, et qui se sont ensuite installés en France même, le colonisateur devenu pays d'accueil, où ils ont dû, comme d'autres immigrants, accepter l'exploitation et se plier en quatre pour réussir.

Le film n'y va pas par quatre chemins. En France, aujourd'hui encore, les immigrés algériens et leurs descendants entendent des phrases comme "tous les Arabes sont des voleurs". L'une des forces du film est d'apporter un contrepoint comique au thème du racisme avec un choc des générations absolument réjouissant, montrant comment les questions d'intégration en France sont vécues différemment par les membres d'une même famille. Parfois dépassés par les exigences du^XXIe siècle, les parents de Youssef continuent à glorifier un passé plein de héros dont la société n'a que faire ; ce sont des Algériens élevés dans la pudibonderie qui se retrouvent dans une société qui a légalisé le mariage gay. Les enfants, eux aussi, sont dépassés et tentent de protéger leurs parents de ce choc des générations, ce qui constitue l'un des procédés comiques les plus réussis du film.

Ce que cela signifie d'être arabe

Parmi les attraits du film, citons sa brillante bande originale, qui fait appel à des artistes d'origine méditerranéenne tels que le franco-libanais Bachar Mar-Khalifé, fils du grand chanteur et joueur de oud Marcel Khalifé, et Alexandre Saada, musicien et compositeur français de musiques de films dont les parents sont originaires de Tunisie et d'Algérie. La famille du héros est installée à Marseille, et le film illustre parfaitement la dimension multiculturelle et métissée de cette ville, qui s'est développée autour d'un port qui a accueilli des vagues successives d'immigration. Kasmi choisit de situer la légende du choc toxique dans le cadre magique des Goudes, face à l'île de Maïre, au cœur des calanques. Dans cet univers minéral, aride et escarpé, peuplé de rochers, de garrigues et de forêts de pins, nous nous retrouvons dans un paysage que l'on pourrait facilement confondre avec la côte algérienne.

Il y a un décalage volontaire entre la vie parisienne du héros, résumée par les paillettes de Chez Drouant, et la misère des bas-fonds marseillais. Il y a aussi un contrepoint entre Paris et la province, entre la langue parlée dans la capitale et la variante chantée du sud, sans oublier une réflexion nuancée sur l'identité et la pluralité de l'arabité.

 

La littérature et la profession d'écrivain

Avec Youssef Salem, nous apprenons qu'il est parfois préférable de ne pas transgresser les tabous, que les non-dits peuvent rester dans l'ombre, et qu'on s'en porte mieux quand c'est le cas. C'est un film plein de clins d'œil ; il se moque notamment du monde de la télévision française et de la télé-réalité, et met en scène des personnalités qui jouent leur propre rôle, comme le journaliste et critique littéraire Augustin Trapenard.

C'est la troisième fois que Bedia travaille avec Kasmi, qui est née dans une famille d'immigrés algériens à Toulouse. Nous avons vu Bedia précédemment dans I'm Yours Right Now en 2015, et Class Struggle en 2019. La combinaison de leurs talents fait mouche. Avec Youssef Salem, Kasmi affirme même avoir écrit le personnage pour lui. Sous la comédie et les gags, nous avons également droit à une réflexion sur la littérature et ce qu'elle peut dire sur le métier d'écrivain, et l'exercice parfois périlleux de l'autobiographie.

Youssef Salem utilise le mensonge pour rendre la vérité plus évidente. Si le protagoniste déguise la réalité à travers ses mots, c'est pour mieux la faire apparaître au grand jour, afin que nous puissions la voir telle qu'elle est vraiment. Pour servir ce processus, une belle mise en abyme entre littérature et réalité est construite tout au long du récit. Ici, rien n'est vrai, mais en même temps, tout l'est. Comme le dit Kasmi, "Les vérités des uns ne sont pas les vérités des autres", d'où la difficulté de produire un récit autobiographique que seul l'auteur peut s'approprier.