Israël-Palestine : La paix sous l'occupation ?

29 janvier 2024 -

L'entente n'est pas possible quand on vit sous occupation -Alain Gresh

 

Laëtitia Soula

 

Le journaliste et écrivain Alain Gresh (né au Caire en 1948) est un anticolonialiste français. Il est l'ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et le cofondateur des publications Orient XXI et Afrique XXI. Il a récemment donné une conférence à Toulouse où il a rappelé à son auditoire que "l'histoire n'a pas commencé le 7 octobre 2023" avec les attaques du Hamas contre Israël lors de l'opération "Al-Aqsa Flood". Il a évoqué "les assassinats en Cisjordanie et le blocus de Gaza depuis plus de quinze ans", notant le lien de causalité entre ces attaques, l'occupation du territoire palestinien et la responsabilité du gouvernement israélien.

"Comment normaliser l'occupation ? demande Gresh. "Elle dure depuis plus de cinquante ans et il n'y a pas d'issue aujourd'hui. Imaginez un instant ce que vit un jeune de Gaza. Toute sa vie, il n'a connu que l'occupation, le blocus, la difficulté de quitter son territoire, etc. Le 7 octobre n'était pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu, il s'agissait juste de savoir quand cela allait arriver".

Qu'est-ce que le terrorisme ?

"Une opération militaire a eu lieu le 7 octobre", explique M. Gresh. "Les combattants du Hamas ont franchi la frontière et ce fut un choc pour les Israéliens, car c'était la première fois que des combats avaient lieu sur leur territoire. Les capacités militaires du Hamas ont surpris tout le monde. Ils ont pris le contrôle de plusieurs bases militaires et tué environ 500 soldats. Des crimes ont été commis contre des civils, notamment des viols et des crimes de guerre. Les critiques se sont multipliées à l'encontre du Hamas en tant qu'organisation terroriste, affirmant qu'il était impossible de négocier avec lui".

M. Gresh s'interroge sur la définition du terrorisme et évoque le droit internationalement reconnu d'un peuple occupé à résister à son oppression. "Je ne connais aucune organisation qui fasse du terrorisme un objectif", affirme-t-il. "Qualifier une organisation de terroriste revient à la représenter comme un mal et à refuser toute négociation. Cela revient à dire que nous sommes bons et que les autres sont mauvais. C'est absurde, car cela signifie que nous ne pouvons pas penser politiquement". Il poursuit : "Lorsque nous parlons de terrorisme, la discussion est close. La réalité est qu'il y a un pays occupant et un pays occupé, et il ne peut y avoir d'entente lorsque vous vivez sous occupation", a-t-il ajouté, paraphrasant Karl Marx, qui affirmait qu'un peuple qui en opprime un autre ne peut être libre.

La "guerre mondiale contre le terrorisme" ?

Un parallèle peut être établi avec la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis après le 11 septembre 2001. Celle-ci s'est avérée être la "croisade" de George W. Bush au Moyen-Orient, omettant la responsabilité des États-Unis dans la situation politique des pays arabes et avançant "la seule solution possible, la victoire militaire". Comme l'affirme M. Gresh, le résultat de la campagne de 2001 contre le terrorisme est que "les Américains ont détruit l'Irak pour des générations, ainsi que l'Afghanistan, avec le retour des talibans. Ils ont déstabilisé toute la région et continuent aujourd'hui à faire preuve de complaisance à l'égard d'Israël. Lire le conflit comme une guerre globale contre le terrorisme, c'est entrer dans une guerre sans fin, et présenter Israël comme un allié dans cette guerre, c'est de la poudre aux yeux, car depuis plus de cinquante ans, ses politiques n'ont pas permis de résoudre le conflit".

L'arme des pauvres

Dans les années 1960, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) était considérée comme une organisation terroriste : "Les actions terroristes consistent à tuer des civils innocents à des fins politiques. La plupart des mouvements de libération ont recours à la lutte armée, comme le Front de libération nationale (FLN) en Algérie ou le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud. Parler d'une guerre entre Israël et le Hamas n'a pas de sens, car il ne s'agit pas de deux entités comparables. Les mouvements de libération combattent des armées modernes, régulières et bien entraînées, parce qu'ils n'ont pas d'autre solution ; on dit souvent que le terrorisme est l'arme des pauvres. Si le terrorisme tue des civils, alors parlons aussi d'États terroristes, car en trois mois, les Israéliens ont tué pas moins de 25 000 personnes à Gaza".

On se souvient des pierres de la première Intifada à la fin des années 1980, souvent lancées par des enfants, des adolescents et des femmes contre l'armée israélienne. Selon Alain Gresh, le terrorisme de l'OLP n'a pas été vaincu par la répression ou l'assassinat des combattants, mais "parce qu'on leur a offert la perspective d'une négociation politique". Intégrée dans les négociations en tant qu'organisation légitime, l'OLP a progressivement renoncé à la violence et a participé aux accords d'Oslo de 1993.

Un possible génocide en cours

Alain Gresh estime qu'il n'y a "pas de solution militaire" au conflit israélo-palestinien et s'étonne de "la capacité de résistance du Hamas" face à l'armée israélienne, l'une des plus puissantes au monde. Selon lui, l'impasse est préoccupante, avec "le risque d'escalade et d'extension du conflit" du côté du Hezbollah au Liban ou des Houthis au Yémen. "Maintenir le calme en maintenant l'occupation israélienne est impossible et illusoire", affirme-t-il. À propos de l'examen par la Cour internationale de justice, à la demande de l'Afrique du Sud, d'un éventuel génocide en cours à Gaza, M. Gresh a déclaré que cette initiative démontrait "l'impuissance de l'Occident à mettre fin à la guerre", dont l'issue pourrait avoir des conséquences considérables. "Cette guerre entre Israël et Gaza a confirmé le fossé entre l'Occident et le reste du monde, avec une très forte incompréhension de la position occidentale, et de celle de la France en particulier. Nous avons assisté au soutien inconditionnel de la majorité de la classe politique française à Israël, et à la criminalisation de toute voix discordante". Face à ceux qui disent qu'il ne faut pas importer le conflit en France, Alain Gresh explique : "Des Français, qui ont souvent la double nationalité, partent se battre en Israël et dans les tunnels de Gaza. C'est leur choix, mais il faut souligner qu'ils participent à des crimes de guerre, à la destruction de Gaza et au massacre de la population."

La loi de la jungle

Bombardements, tortures, meurtres de civils, destruction d'hôpitaux, d'établissements éducatifs et religieux, blocage de l'aide humanitaire, déplacements systématiques et forcés de populations... Comme l'affirme Gresh, le droit international et le droit des peuples à l'autodétermination sont "totalement violés", le blocus total de la nourriture, de l'eau et de l'électricité à Gaza conduisant à une situation chaotique et à la famine. L'occupation menace également la démocratie israélienne, la Cour suprême "restreignant les droits de la minorité palestinienne en Israël".

"Après le 7 octobre, des citoyens israéliens juifs ont été accusés de sympathie pour le terrorisme et assignés à résidence. En Israël, certains se battent avec beaucoup de courage, notamment quelques journalistes qui écrivent dans Haaretz ou +972mais il s'agit malheureusement d'une très petite minorité. Israël qualifie ses opérations militaires contre les Palestiniens de "tondre la pelouse,' ce qui révèle le mépris des dirigeants israéliens pour la population. La reconnaissancedu génocide palestinien par la [CIJ]serait un signe fort, qui ferait pression sur Israël et redonnerait de la crédibilité au droit international, né dans le contexte de la lutte d'après-guerre contre le fascisme, et qui est en train de s'effondrer. Ce qui le remplace, c'est la loi de la jungle".

 

Alain Gresh est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire politique du Moyen-Orient, dont le plus récent est Un chant d'amour avec Hélène Aldeguer, aux Éditions de la Découverte (photo L. Soula). En anglais, il a notamment publié The New A-Z of the Middle East et The PLO : The Struggle Within : Vers un État palestinien indépendant.

Originaire de Marseille, Laëtitia Soula est journaliste de presse écrite. Diplômée de l'école de journalisme de Toulouse, elle a travaillé dans la presse quotidienne et hebdomadaire régionale, ainsi que dans la presse d'entreprise, en tant que rédactrice et photographe.

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