Photos : Emilie Madi
Michel Tabet
Un mois après l'explosion.
On cherche dans la ville des raisons d'aller de l'avant, de se donner du courage.
Les sauveteurs chiliens passent devant un immeuble effondré.
Leur chien détecte une odeur, juste une odeur.
Le chef des sauveteurs scanne les décombres.
Il sent quelques battements de coeur.
Presque rien.
Presque tout.
Le chef estime qu'il y a suffisamment de raisons pour fouiller les décombres.
"Nobody is dead until he is found dead".
Les Chiliens en savent quelque chose.
On barre la route.
Les opérations commencent.
Elles durent des heures et des jours.
Elles tiennent la ville en haleine
Elles nous exercent à espérer de nouveau.
Pour quelques battements de cœur, quelqu'un, dans les rues de
Beyrouth, s'est arrêté et a décidé de creuser.
Du jamais vu.
Les Chiliens nous tendent un miroir paradoxal : ils nous montrent le pire de nous-mêmes (l'incurie de nos institutions et le mépris du vivant qui caractérise notre accoutumance au tragique) et le chemin à suivre : le respect de la vie jusqu'à son dernier souffle.
C'est pourquoi, en l'espace de quelques jours, ils sont devenus les sauveurs de nos âmes.
En creusant dans les tréfonds de l'immeuble éventré, il n'ont peut-être pas trouvé de survivant mais ils nous ont sortis des limbes dans lesquelles nous nous trouvions.
Et au fond, peu importe qu'il y ait quelqu'un ou qu'il n'y ait personne dans les ruines fumantes de l'immeuble.
Peu importe qu'ils trouvent et sauvent ou non un cœur enterré (même si nous souhaitons tous une fin heureuse).
C'est le geste qui compte.
Pour la première fois de notre histoire nous avons l'impression que quelqu'un s'occupe de nous, de nos gravas, de nos cadavres, de nos douleurs et de nos blessures. D'habitude on déblaie et on remblaie, on évacue et on passe à autre chose.
Le souci et le respect que les gestes des sauveteurs chiliens révèlent sont révolutionnaires pour ça : ils placent l'hypothèse de la vie au delà de toute autre considération.
Et j'aime ces Chiliens parce qu'ils ont traversé des continents pour venir jusqu'ici.
Parce qu'ils viennent de loin, très loin,
par leurs propres moyens.
Je les aime parce qu'ils ont une histoire aussi fracassée que la nôtre et que la leçon qu'ils nous donnent n'est pas celle des experts et des puissants, mais de ceux qui, comme nous, apprennent la vie dans les larmes et dans le sang.
trad. des Français par Jordan Elgrably