De "Anahita" à Ÿuma, le Festival Arabesques éblouit des milliers de personnes

26 septembre, 2022 -
"Mahmoud, Marcel & Me" était un hommage saisissant au défunt poète palestinien Mahmoud Darwish, interprété pour la dernière fois le 09/10/2022 par Marcel Khalife (au centre) avec Bachar Mar-Khalife (au centre-gauche au piano) et Ensemble - un moment fort du Festival Arabesques qui s'est déroulé au Domaine d'O, Montpellier (photo Jordan Elgrably).

 

 

Souvent, les médias occidentaux, lorsqu'ils dépeignent le monde arabe et la diversité de l'Asie du Sud-Ouest, notamment les cultures iranienne, kurde et afghane, ne parviennent pas à présenter l'image la plus large possible de cette vaste et belle région. C'est là qu'intervient le Festival Arabesques, qui en est à sa 17e édition. Du 6 au 18 septembre 2022, Arabesques - désormais le plus grand festival d'arts du spectacle de ce type en Europe - a présenté une vingtaine de concerts, projections de films, ateliers et autres rencontres culturelles à plus de 20 000 spectateurs de tous âges et de tous horizons. [Ndlr]

 

Angélique Crux

 

Lorsque le Festival Arabesques présente un spectacle à l'Opéra Comédie, haut lieu duXVIIIe siècle de Montpellier, il faut s'attendre à sortir des clichés conventionnels. En effect, avec " Anahita ", le mélange des interprètes entre musique traditionnelle orientale entremêlée de jazz et de musique classique occidentale se démarque et donne une saveur envoûtante à travers les sons, la voix et la danse.

L'interprète, la mezzo franco-iranienne Ariana Vafadari, a composé la musique de "Anahita", une co-création avec Leili Anvar, également franco-iranienne, qui a écrit l'histoire, dans laquelle les deux femmes partent à la recherche de leurs ancêtres et de l'ancienne légende d'Anahita.

On aurait pu se contenter de la voix lyrique et élégiaque de Vafadari, accompagnée d'un pianiste, d'un contrebassiste et de Driss El Maloumi, jouant majestueusement du oud.

 

Rana Gorgani dans l'interprétation de "Anahita" par le Festival Arabesques à l'Opéra Comédie (photo Luc Jennepin).

Mais l'artiste soufie Rana Gorgani, d'origine kurde d'Iran, a ajouté un vol spirituel de fantaisie dans le tumulte et les tournoiements incessants de sa danse hypnotique, le samâ, qu'elle exécute comme un acte de dévotion. Gorgani domine la scène et captive son public ; la splendeur de sa lumière intérieure transparaît comme un derviche tourneur. Pendant des siècles, cette danse rituelle a été réservée aux hommes, mais depuis quelques décennies, les femmes, très contestées en Turquie, s'émancipent par la spiritualité en se réappropriant cette danse.

"Anahita" est un véritable hommage aux femmes qui occupent une place centrale dans ce spectacle et au-delà - à l'heure où j'écris ces lignes, des femmes et des hommes iraniens sont dans les rues, protestant contre l'oppression de l'État, et des millions de personnes à travers le monde postent des notes de solidarité sur les médias sociaux.

 

 

 


 

Dans un autre univers, au Domaine d'O, dans le théâtre Jean-Claude Carrière, on retrouve les Cheikhats Kabareh, dont les chanteurs et musiciens sont exclusivement masculins tout en étant déguisés en femmes, interprétant avec brio le répertoire de l'Aïta. Ces chansons populaires étaient autrefois chantées par des femmes, les cheikhas, dont la mission était de dénoncer haut et fort les maux de la société. Fanny Soum-Pouyalet, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, nous donne cette définition : "La cheikha, chanteuse traditionnelle autrefois respectée et honorée, seule maîtresse de la fête, est devenue une danseuse méprisée, lascive, poussée sur les rives de la pauvreté et de la prostitution."

 

Le rôle de Ghassan El Hakim, directeur et chanteur de Kabareh Cheikhats, est donc de rendre hommage à ces femmes en faisant vivre leurs chansons.

Présentes autrefois dans les fêtes et cérémonies culturelles, les cheikhas étaient appréciées pour leurs textes et leurs revendications féminines ; elles ont longtemps été perçues comme des femmes courageuses et libres mais ont fini par être marginalisées. Qu'il s'agisse des cheikhas d'antan ou d'aujourd'hui, avec les Cheikhats Kabareh, nous avons des artistes féministes, hommes ou femmes, qui s'écartent des codes et des mœurs sociales marocaines.

Dans une société où le travestissement est un mauvais présage, le Kabareh Cheikhats pose également la question du genre. Outre le fait que ce spectacle est drôle, même avec les meilleures intentions du monde, une fois de plus les hommes prennent la place des femmes. Le but de ce spectacle n'est-il pas d'inciter les femmes à redevenir des cheikhas, à crier leur liberté à tue-tête et à dénoncer ce qu'elles veulent ?

 


 

 

Festival Arabesques - Samah Mustafa - photo Luc Jennepin

Samah Mustafa, chanteuse, musicienne et musicothérapeute palestinienne, s'est également produite au Domaine d'O, sur le terrain d'un ancien château. Ayant fait ses armes en tant que chanteuse vedette dans divers projets en Palestine, au Maroc, en Suède, en Norvège, au Sri Lanka, au Royaume-Uni et en Espagne, dont le Jawa Tour, le concours New Star et le festival palestinien Yabous, nous nous sommes laissés emporter par son style unique. Mustafa se présente comme une véritable femme orchestre moderne. Entourée d'ordinateurs et d'instruments électroniques, elle compose ses propres arrangements en direct, en utilisant l'écho de sa propre voix. La dextérité de ses doigts, volant d'une touche à l'autre, est impressionnante. Elle incarne un monde à part, un monde que l'on pourrait imaginer destiné à la jeune génération, mais détrompez-vous ! Samah Mustafa chante merveilleusement bien les chansons arabes classiques et s'approprie la musique folklorique arabe. Le spectacle offre une musique intergénérationnelle vraiment innovante.

Ce qui est évident, c'est l'intelligence musicale de Samah Mustafa, car ses harmonies nous font ressentir de l'allégresse, et en écoutant, nous avons l'impression de traverser de nombreuses frontières.

La dernière pièce qu'elle présentera au festival s'intitule "Hope", et nous nous demandons pourquoi !

 

 


 

Le duo tunisien ŸUMA au Festival Arabesques, avec Ramy Zoghelmi et Sabrine Jenhani (photo Luc Jennepin).

Sur cette même scène, nous terminons avec Ÿuma, car nous ne pouvons pas citer tous les artistes, tant le Festival Arabesques était riche cette année. Ÿuma est composé de Sabrine Jenhani et Ramy Zoghelmi, un duo tunisien à deux voix et une guitare, dont l'univers folk minimaliste contraste avec les productions urbaines de la nouvelle scène arabe. Ce sont des artistes pluridisciplinaires (elle est diplômée de l'École des Beaux Arts de Tunis, lui vient du cinéma). Les deux rockeurs amateurs se sont spontanément retrouvés dans la douceur acoustique de chansons intimistes, mais aussi dans une démarche militante.

 

 

Dans Ÿuma, la femme et l'homme sont artistiquement égaux, chacun faisant la lumière pour l'autre. Ils sont beaux, touchants, simples et timides. Leurs yeux se ferment sur les mélodies, et ne cessent de se rouvrir pour se voir ; ils respirent ensemble, chantent ensemble, brillent ensemble. Dans cet accord harmonieux, le temps n'a pas sa place, seule la beauté de leurs chansons est notre dimension.

Artistes engagés, ils parlent d'amour, de mariages forcés, de la condition des femmes... avec pudeur et beaucoup de douceur.

Pour revendiquer leur identité, ils choisissent d'écrire leurs textes en dialecte tunisien. Dépouillée de tout arrangement, leur musique est pure, seule une guitare dans un style folk-blues les accompagne. Sabrine Jenhani et Ramy Zoghelmi ont été parmi les temps forts de ce beau festival, dédié aux divers sons et couleurs du monde arabo-musulman.

 

Angélique Crux est une humaniste qui se considère avant tout comme une citoyenne du monde, enrichie de rencontres à travers de nombreux voyages et vivant actuellement dans le sud de la France. Mime engagée, elle participe à des projets artistiques défendant des causes comme le handicap avec l'association Différent Comme Tout le Monde, et les naufragés de la mer avec l'association SOS Méditerrannée, lors d'événements ou dans les écoles.

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