Yassini Girls, le témoignage puissant bien qu'imparfait d'un traumatisme historique

31 janvier 2025 -
Alors que Gaza a tout juste survécu à une nouvelle catastrophe humanitaire, l'accent sur la préservation et le partage des histoires palestiniennes au cœur de ce roman est plus vital que jamais.

 

Yassini Girls, un roman de Shereen Malherbe
Beacon Books 2024
ISBN 9781915025944

 

Natasha Tynes

 

Yassini Girls de Shereen Malherbe est une contribution importante à la littérature palestinienne, qui revisite les événements déchirants du massacre de Deir Yassin en 1948, l'un des épisodes les plus tristement célèbres de la Nakba. Au cours de ce massacre, des groupes paramilitaires sionistes, dont l'Irgoun, ont tué plus de 100 villageois palestiniens près de Jérusalem, un événement qui a provoqué des déplacements de population massifs et qui s'inscrit dans une stratégie plus large de nettoyage ethnique. Cet incident, comme tant d'autres dans l'histoire palestinienne, rappelle la lutte permanente des Palestiniens pour leur survie et la justice.

Deir Yassin, qui a eu lieu le 9 avril 1948, n'est pas un événement isolé mais l'un des nombreux massacres perpétrés au cours de cette période. Une entrée de Wikipedia révèle que leur nombre exact est inconnu :

Couverture du roman Yassini Girls
The Yassini Girls est publié par Beacon.

Selon plusieurs historiens, entre 10 et 70 massacres ont eu lieu pendant la guerre de 1948. Selon Benny Morris, les soldats du Yishuv (ou plus tard d'Israël) ont tué environ 800 civils arabes et prisonniers de guerre au cours de 24 massacres. Aryeh Yizthaki dénombre 10 massacres majeurs ayant fait chacun plus de 50 victimes. Le chercheur palestinien Salman Abu-Sitta en recense 33, dont la moitié s'est déroulée pendant la période de la guerre civile. Saleh Abdel Jawad énumère 68 villages où des actes d'assassinat arbitraire de prisonniers et de civils ont eu lieu, alors qu'aucune menace ne pesait sur le Yishuv ou les soldats israéliens*.

Quel que soit le nombre de massacres, les mauvaises nouvelles se sont vite répandues et les Palestiniens, terrorisés, ont fui. Des schémas similaires de déplacement et de destruction sont visibles aujourd'hui à Gaza, où les familles, où nombre de générations ont déjà subi de lourdes pertes, sont aujourd'hui confrontées à une violence et à une dépossession continues.

Toutefois, si Yassini Girls attire l'attention sur ce moment clé de l'histoire palestinienne, le roman aurait aussi bénéficié d'une exploration plus approfondie des massacres autour de Deir Yassin.

Alors que Malherbe met en lumière l'impact du massacre de Deir Yassin lui-même, le rythme soutenu du roman laisse le lecteur sur sa faim : plus de profondeur, plus de contexte et une image plus complète de ces atrocités dans le cadre plus large de l'épuration ethnique auraient été appréciés.

En comparaison, des romans tels que La porte du soleil d'Elias Khoury, ou Des Hommes dans le soleil de Ghassan Kanafani offrent des représentations plus subjectives du coût humain de la Nakba, plongeant les lecteurs dans la dévastation émotionnelle et physique du déplacement.

Dans Yassini Girls, Malherbe explore les conséquences du massacre de Deir Yassin à travers les vies entrelacées de deux femmes : Fatima, qui a vécu le massacre, et Layla, sa petite-fille, aux prises avec son héritage. Bien que Malherbe transmette l'importance personnelle du massacre vécue par les personnages, le rythme du roman nuit à son impact émotionnel. L'histoire se déroule si rapidement que des moments clés - comme la visite émouvante de Layla à Deir Yassin - semblent précipités et sous-développés.

En comparaison, d'autres romans palestiniens traitant de thèmes similaires, tels que Les Matins de Jénine de Susan Abulhawa, ralentissent la narration à des moments cruciaux, permettant au lecteur de s'imprégner pleinement du chagrin et de la colère des personnages. Par exemple, la réaction muette de Layla lorsqu'elle découvre le lien entre sa famille et le massacre, et qu'elle décrit ses sentiments comme de la déception plutôt que de la colère, tombe à plat, manquant une occasion de connecter profondément le personnage aux lecteurs, qui pourraient s'attendre à une réponse plus forte, à un moment de prise de conscience plus puissant.

Yassini Girls se distingue par son utilisation du symbolisme, notamment en mettant l'accent sur la pierre et la broderie, qui représentent à la fois la résilience du peuple palestinien et la richesse de son patrimoine culturel. Le thobe, broderie de motifs complexes, devient une métaphore de la complexité de l'identité et de l'histoire palestiniennes. Cette attention portée au symbolisme culturel est l'un des aspects les plus forts du roman, car elle assure une continuité thématique qui enracine les personnages dans leur héritage.

Cependant, bien que le roman réussisse ces moments symboliques, son style d'écriture peut parfois ressembler davantage à un panorama historique qu'à un récit immersif. Le de Malherbe d'exposer, de raconter plutôt que montrer, nuit à l'immédiateté émotionnelle de l'histoire. Cela contraste avec les œuvres d'écrivains comme Mahmoud Darwish, dont la prose poétique fait ressortir à la fois la beauté et la tristesse de la vie palestinienne. Dans Yassini Girls, l'équilibre entre les détails historiques et la narration personnelle pourrait être affiné.

Il est important de noter que Yassini Girls est un livre profondément personnel pour Shereen Malherbe. Enraciné dans l'histoire de sa famille, le roman s'inspire de ses révélations lors du tournage du documentaire de la BBC The Holy Land and Us: Our Untold Stories.

Lors d'interviews, Shereen Malherbe a insisté sur l'urgence de raconter les histoires palestiniennes, en particulier face à la montée de l'islamophobie et à des décennies de représentations déshumanisantes dans les médias. « Il est plus que jamais essentiel que les histoires palestiniennes soient lues et comprises », a-t-elle déclaré. 

Si le rythme de Yassini Girls et son recours à l'exposition des faits peuvent laisser certains lecteurs insatisfaits, la profondeur thématique du roman et son exploration des traumatismes intergénérationnels en font un roman précieux. Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire palestinienne et aux effets durables de la Nakba, Yassini Girls offre une réflexion personnelle, bien qu'imparfaite, sur un héritage de perte et de résilience.

Alors que Gaza subit une nouvelle catastrophe humanitaire, l'accent sur la préservation et le partage des histoires palestiniennes au cœur du roman est plus vital que jamais.

Il vaut la peine d'être lu pour son message, même si la forme est imparfaite.

* Wikipedia

Natasha Tynes est une auteure jordano-américaine du Maryland et une contributrice régulière à des publications, parmi lesquelles le Washington Post, Nature Magazine, Elle et Esquire. Ses nouvelles ont été publiées dans Geometry, The Timberline Review et Fjords. Sa nouvelle « Ustaz Ali » a été primée au prestigieux festival littéraire annuel F. Scott Fitzgerald en 2018. Tynes est l’auteur du roman littéraire spéculatif They Called Me Wyatt (Rare Bird Books, 2019). Elle anime le podcast, Read and Write with Natasha, qui présente des auteurs et des éditeurs. Elle contribue à Stories from the Center of the World: New Middle East Fiction, édité par Jordan Elgrably (City Lights Books, 2024).

 

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