Deux façons de voir le Maroc de l'autre côté de la Méditerranée

26 septembre, 2022 -

Le plus grand festival des arts du spectacle arabes d'Europe accueille de jeunes artistes travaillant dans divers médias.

 

Nora Ounnas Leroy

 

Chaque année, le Festival Arabesques fait venir à Montpellier une riche palette d'artistes de la scène et du spectacle vivant, dans le but d'animer le dialogue des cultures entre les civilisations. Un soir, je me suis rendu à la Halle Tropisme, un grand complexe artistique et entrepreneurial, pour assister à ce que le festival appelle un "incubateur" entre deux villes, Casablanca (communément appelée "Casa") et Montpellier. J'y ai rencontré deux jeunes artistes marocains émergents dans l'incubateur LEADART, présentés avec le Arabesques Sound System. LEADART sert à développer les échanges artistiques et culturels sur le thème des arts urbains - nos deux artistes ont été invités pour une semaine de résidence artistique à la Halle Tropisme.

Jad Mouride est un artiste numérique de 29 ans qui vit à Casablanca. Après des études de journalisme et de communication, il devient concepteur multimédia de l'image et du son, créant des mapping pour divers spectacles et festivals, mais aussi des animations 3D et des visuels d'art génératif. Il est également musicien depuis dix ans et anime des DJ sets accompagnés de projections interactives avec le collectif KUSSUF (" éclipse ").

Son approche "touche-à-tout" et la diversité des médias qu'il maîtrise lui permettent de traiter de manière originale et exhaustive des sujets tels que la condition humaine face aux nouvelles technologies, la surveillance et les tabous résultant du développement urbain.

Il suggère qu'il est à l'avant-garde des "débuts d'un nouvel art, combinant le physique, le virtuel et l'hybride qui créent l'équation du monde physique."

Son œuvre "Khazablanca", par exemple, tire son nom d'un jeu de mots entre "Casablanca" et "Khaza" qui signifie "lichens" ou "moisissures". Il s'agit d'une co-création avec Salima Dhaibi, une actrice qui a grandi dans le milieu du théâtre et de la performance de Casa. "Khazablanca" offre "un regard subjectif sur la brutalité des interactions humaines", explique Mouride. "C'est une ville en constante construction/destruction. Casablanca est violente mais aussi poétique. Elle illustre l'oxymore social par excellence".

Mouride explique que la construction à Casablanca, en 1912, du premier grand port moderne du royaume marocain a marqué un tournant décisif et historique dans le développement économique du pays, mais aussi dans sa structure sociétale. Grâce aux investissements nationaux et étrangers, Casa est rapidement devenue une capitale industrielle, créant dans le sillage de sa croissance autant de succès et de joie que d'inégalités et de désespoir.

Dans son ouvrage, Mouride aborde des questions telles que les différences de densité de population. Les quartiers bourgeois, autrefois réservés aux colons français, sont toujours ceux où la densité de population est la plus faible.

"Il faut savoir que c'est à Casablanca que les premiers bidonvilles ont été créés dans les années 1930, explique-t-il, augmentant ainsi le fossé entre les riches et les pauvres, entre ceux qui ont tout et de grands espaces pour vivre et ceux qui vivent les uns sur les autres avec peu de choses."

Son travail souligne également l'importance et la résurgence des rituels magiques. L'individu, ayant perdu ses repères dans un espace urbain conçu essentiellement pour le travail, cherche son équilibre, sa délivrance.

 

Mohamed Amine Ait Hammou présente le jeu d'argent marocain, Swirti, à la Halle Tropisme de Montpellier (photos Naomi Bernard).

 

Mohamed Amine Ait Hammou est un scénographe, réalisateur et vidéaste. Il a 37 ans et vit à Tanger. Après avoir fréquenté l'École des Beaux-Arts de Tétouan, il a étudié l'art dramatique puis s'est inscrit à l'École Supérieure des Arts Visuels de Marrakech. Aujourd'hui, il crée des décors de théâtre, du mapping vidéo et nous propose, dans le cadre de LEADART, une installation interactive inspirée d'un jeu d'argent populaire dans les foires marocaines appelé Swirti.

Il s'agit d'atteindre, avec des pièces de monnaie, un découpage du Maroc flottant au-dessus d'une carte du monde. En lançant la pièce, vous écrivez votre souhait le plus cher dans un livre blanc, disposé à cet effet. Tous ces souhaits, rêves et désirs seront ensuite publiés dans Le livre de l'espoir. Cette installation, aussi enfantine qu'elle puisse paraître, pose avant tout la question de l'espace public. Comment partager, s'approprier, ou réinventer l'espace public dans une ville où il n'est pas permis d'en parler ?

"Mes thèmes préférés sont l'espoir et la désillusion. Pourquoi quittons-nous notre pays au lieu de réaliser nos rêves chez nous ? Pourquoi regarder ailleurs, et souvent très loin, alors qu'on a tout sous les pieds ?". s'interroge Amine Ait Hammou.

Dans la même veine de réflexion, il a animé des ateliers avec le Centre culturel américain ou avec des acteurs professionnels marocains. Il s'interroge notamment sur l'idéal de beauté : "Pourquoi sommes-nous tous habillés à la mode occidentale, plutôt que de porter nos vêtements traditionnels, beaucoup plus pratiques et confortables ?".

Il organise un défilé de mode avec des vêtements récupérés dans des friperies. Il met en scène les participants qui s'improvisent modèles pour le jeu, pour le plaisir de se réinventer. Mohamed Amine Ait Hammou, dans ses créations, emprunte à sa curiosité presque enfantine, d'une apparente naïveté, derrière laquelle se cache une profonde réflexion et une immense tendresse envers ses contemporains.

 

 

 

 

Nora Ounnas Leroy est une photojournaliste franco-algérienne d'origine égyptienne et italienne basée à Montpellier. Elle a travaillé dans la communication et est également écrivain, compositeur et chanteuse. Elle a travaillé auparavant dans le cinéma et la télévision, connaît bien la scène de l'art contemporain et s'est intéressée aux énergies alternatives et au développement local.

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