Lettre ouverte du rédacteur en chef suite à l'élection présidentielle américaine de 2024

8 novembre 2024 -

Du bureau du rédacteur en chef

 

Il est difficile de savoir par où commencer pour commenter cette calamité qu'a été l'élection présidentielle américaine cette semaine. L'ancien président Donald Trump, condamné et mis en accusation à deux reprises, a été réélu en remportant à la fois le vote populaire et le collège électoral. Tout en promettant de "réparer notre économie en panne", M. Trump a menacé de se venger de ses ennemis présumés, y compris des médias ("ennemis du peuple"), il utilise par ailleurs des termes tels que "vermine", "ordures" et "ennemis intérieurs" pour décrire ses adversaires politiques. Son second mandat promet d'affaiblir encore davantage le droit des femmes à disposer de leur corps, de donner plus de pouvoir aux suprémacistes blancs, de détenir et d'expulser les immigrants, et de détruire tout espoir de consensus international sur la manière de lutter contre le changement climatique.

Mais que présage ce résultat électoral pour les Arabes et tous les habitants du centre du monde ? Un second mandat de Trump se traduira-t-il par de nouvelles pertes humaines et matérielles pour les Palestiniens et les Libanais, alors même que des despotes comme Al-Sisi en Égypte et MBS en Arabie saoudite renforcent leur mainmise sur le pouvoir ?

Comme l'a fait remarquer un contributeur de TMR, "on peut craindre une plus grande escalade de la présence militaire israélienne et américaine au Moyen-Orient".

Ici, à la Markaz Review, nous avons été particulièrement frappés par la violence de la guerre d'Israël contre Gaza, le génocide des Palestiniens et les bombardements apparemment aveugles du Liban. La guerre régionale imminente entre Israël et l'Iran a, en outre, des implications mondiales, la Russie et la Chine soutenant l'Iran, tandis que les États-Unis et l'Europe continuent de soutenir l'Israël de Netanyahou.


Ce que l'élection américaine pourrait signifier pour les journalistes et la liberté de la presse dans le monde


En tant que membre de la presse, j'ai été alarmé par le fait qu'Israël ait pris pour cible des journalistes, des poètes et des écrivains à Gaza et au Liban : Israël a tué plus de membres des médias au cours de l'année écoulée qu'il n'en a été tué pendant toute la Seconde Guerre mondiale, et ce en toute impunité. En d'autres termes, en utilisant le Hamas comme excuse, Israël a non seulement tué plus de 42 000 Palestiniens à Gaza et détruit toutes ses universités, la majorité de ses hôpitaux, ainsi que des bibliothèques, des écoles, des théâtres, des centres culturels, des imprimeries et des librairies, mais il a également fait du journalisme l'une des professions les plus dangereuses au monde, et ce afin de tous nous empêcher d'apprendre la vérité sur la destruction gratuite que les forces de défense israéliennes ont infligée à Gaza (et qui s'est étendue à la Cisjordanie et au Liban). Dans le même temps, avec la complicité de l'Occident, Israël a violé le droit international de manière si flagrante que des voix s'élèvent pour demander la révocation du statut du pays comme membre des Nations unies.


Ce que nous avons vécu au cours de l'année écoulée a profondément changé notre façon de voir le monde. La déshumanisation extrême des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, qui ont subi des attaques féroces de la part des forces militaires israéliennes et des colons, a fait comprendre aux Arabes et aux autres habitants de la région que nos vies ne sont pas indispensables, que notre humanité est discutable et que notre avenir est en danger. Comme l'a écrit Lina Mounzer, rédactrice en chef de TMR, dans son éditorial "Une année de guerre sans fin" :

Interrogez n'importe quel Arabe sur la prise de conscience la plus douloureuse de l'année passée, et il vous répondra : nous avons pris conscience de l'ampleur de notre déshumanisation à tel point qu'il devient impossible de vivre dans ce monde comme nous le faisions avant.

Bien entendu, tout cela s'est produit sous les yeux des démocrates et explique en partie la défaite de Kamala Harris dans les urnes. On se demande maintenant si Trump sera encore pire.

La raison d'être de The Markaz Review a été de passer le micro, voire le mégaphone, à nos écrivains et à nos artistes, pour qu'ils s'expriment de leur propre voix, dans leurs propres termes - sans être redevables à une quelconque tutelle occidentale, mais véritablement selon leurs propres valeurs humanistes et leurs traditions culturelles.

Plus que jamais, il est temps de résister, de faire preuve de dissidence, de s'exprimer et de parler haut et fort. Comme l'affirme Ani Zonneveld, notre alliée au sein de Muslims for Progressive Values, "nous nous battrons farouchement, pacifiquement et stratégiquement pour maintenir les libertés de tous les individus dans ce pays, et nous nous poserons en alliés de toutes les communautés qui se sentent menacées. Il est temps de résister au désespoir".

Continuons à nous battre ensemble.

Merci pour votre lecture.

-Jordan Elgrably

 

p.s. La création de la Markaz Review a été un travail d'amour. La maintenir et la développer a été un défi, mais nous espérons continuer à relever ce défi avec votre soutien.

Jordan Elgrably est un écrivain et traducteur américain, français et marocain dont les récits et la non-fiction créative ont été publiés dans de nombreuses anthologies et revues, notamment Apulée, Salmagundi et la Paris Review. Rédacteur en chef et fondateur de The Markaz Review, il est cofondateur et ancien directeur du Levantine Cultural Center/The Markaz à Los Angeles (2001-2020). Il est l'éditeur de Stories From the Center of the World : New Middle East Fiction (City Lights, 2024), et co-éditeur avec Malu Halasa de Sumūd : a New Palestinian Reader(Seven Stories, 2025). Basé à Montpellier, en France et en Californie, il tweete @JordanElgrably.

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