Archives de la mémoire : Entre le souvenir et l'oubli

3 mai 2024 -

Le vol calculé des terres et l'anéantissement des peuples et de leurs cultures dans les colonies de peuplement ont été sans pitié ni répit. Dans ces contextes, oublier le passé équivaut à un effacement permanent, et s'en souvenir devient une forme de résistance et de résilience inébranlable. On ne saurait trop insister sur ce point.

 

Mai Al-Nakib

 

L'écriture est une archive mémorielle. Quelle que soit sa forme : littérature, lettres d'amour, lois, plans d'opérations militaires, notes échangées entre amis, journaux intimes, gribouillages sur les toilettes, listes de choses à faire… L'écriture est le portail du temps écoulé, des traces de l'existence qui s'estompent. Tout, et pas seulement l'écriture, peut constituer une archive mémorielle : les arbres, les montagnes, les photographies, les films, les œuvres d'art, les bâtiments, les cartes, les timbres, la mode, la musique, les récits oraux, les ruines, les os enterrés. Mais l'écriture est l'archive mémorielle qui me tient sous son emprise depuis mon plus jeune âge. C'est celle que j'ai choisi d’utiliser pour faire face à l'oubli, en acceptant les efforts insignifiants et même, parfois, sa nocivité.

Même si nous semblons être conçus pour oublier, notre espèce existe à travers le souvenir. Vérité, en grec, aletheia, signifie littéralement "ne pas oublier". La production de la vérité et de la connaissance (construite, variable, pas automatiquement progressive) se base sur les archives précédentes, le travail des générations documenté, sauvegardé et transmis par écrit ou oralement. La production artistique fonctionne de la même manière. En fouillant le passé, en s'en souvenant, l'art absorbe les archives et s’en éloigne. La divergence et l'éloignement sont une forme d'oubli volontaire en vue d'une nouvelle création. J’ai pourtant eu tendance à percevoir l'oubli d'un mauvais regard pour des raisons plus personnelles et affectives qu'intellectuelles et artistiques.


À la fin de l'été 1991, l'année de la libération du Koweït, j'avais 21 ans, et vivais sous un ciel noir de pétrole. J'étais bénévole à la bibliothèque de l'université du Koweït, où l'on tentait de reconstituer les archives en morceaux. Les livres avaient tous disparu, volés par l'armée envahissante. Les cartes étaient éparpillées sur le sol et quelque fois salies d'excréments humains. Notre tâche, en tant qu'étudiants bénévoles, consistait à collecter les cartes et à les classer par numéro d'appel afin que les livres puissent être rachetés et que la bibliothèque soit réapprovisionnée. Les cartes salies ont été jetées, non comptabilisées, et les livres épuisés n'ont jamais été récupérés. Les archives seront donc incomplètes. Les étagères de la bibliothèque de l'université du Koweït, comme le Koweït lui-même, resteraient vides, et bientôt, ces pièces manquantes seraient oubliées.

On ne peut pas parler de reconstruction après une guerre (il s’agit d’une tâche impossible) mais plutôt d’une nouvelle construction. Une transition économique durant laquelle ceux qui détiennent le pouvoir ont tout à gagner. Dans un premier temps, la population peut vouloir faire table rase et oublier l’évènement traumatisant qui poussé cette nouvelle construction. Après l'invasion, les gens oublièrent collectivement et ignorèrent ces politiques antidémocratiques de dix ans plus tôt. Ils fermèrent les yeux sur les préjudices causés à la communauté palestinienne du Koweït juste après l’invasion. Il négligèrent le cosmopolitisme qui caractérisait le Koweït depuis sa création et qui aurait pu servi de modèle pour créer une communauté plus juste.

La reconstruction suite aux démolitions causées par l'invasion, l'occupation ou la guerre, ne se passait que dans les pires cas : Dresde, Hiroshima, Nagasaki, Koweït. Pour les indigènes du monde entier, les possibilités de reconstructions ont été interdites. Le vol des terres et l'anéantissement des peuples et de leurs cultures dans les colonies de peuplement ont été sans pitié ni répit. Dans ces contextes, oublier le passé engendre un effacement permanent. S'en souvenir devient une forme de résistance et de résilience. Il faut insister sur ce point.


C'est dans l'ombre apocalyptique de la guerre du Koweït, d'une catastrophe environnementale et d'une amnésie croissante que j'ai regardé pour la première fois une copie pirate du film Jusqu'à la fin du monde, de Wim Wenders, au début de l'année 1992. L'histoire se déroule en 1999, dans un futur proche menacé par un satellite nucléaire indien qui fonce sur la terre, mettant en danger la survie de la planète. Le film, décrit par Wenders comme le ""ultime road movie" est moins guidé par l'intrigue que par le ton et le rythme. Le film se centre sur la relation entre la mémoire et l'oubli.

C’est l’histoire de Claire Tourneur (jouée par Solveig Dommartin), qui parcourt le monde à la poursuite de Sam Farber, alias Trevor McPhee (William Hurt), qu'elle a rencontré par hasard dans un cybercafé à Lyon. Claire fuit l'ennui et une histoire d'amour ratée, tandis que Farber se déplace d'un continent à l'autre, tout en enregistrant les moments avec des amis et des membres de sa famille avec sa caméra à la pointe de la technologie. La caméra, inventée par son père, le Dr Henry Farber (Max von Sydow), enregistre les images vues dans le viseur ainsi que les réactions cognitives du spectateur. Le Dr Farber a inventé cet appareil pour permettre à sa femme aveugle, Edith (Jeanne Moreau), de voir. Il décide de quitter le laboratoire de Palo Alto pour lequel il travaillait lorsqu’il apprend que le gouvernement américan veut faire un usage néfaste de sa caméra. Il emporte avec lui ses précieuses recherches et son matériel. Farber, ophtalmologue de formation, et Edith, anthropologue, se cachent dans le désert australien au sein d'une communauté Mbantua qu'ils connaissent depuis quarante ans et dont un certain nombre sont des scientifiques qui travaillent avec Farber dans son laboratoire secret.

Sam est poursuivi par un chasseur de primes. Claire, par un détective accompagné de son ex-petit ami, l'écrivain Eugene Fitzpatrick (Sam Neill), qui fait la voix off tout au long du film. Ils arrivèrent finalement en Australie à la grotte-laboratoire du Dr Farber. La caméra fonctionne : Edith peut voir ce que Sam et Claire ont enregistré. L'expérience, d'abord exaltante, n'est pas exactement ce qu'elle avait prévu. Il s'avère qu'il lui est insupportablement triste de voir les visages de ceux qu'elle n'a jamais vus auparavant, y compris ses filles et sa petite-fille, ou qu'elle n'a pas vus depuis des décennies (elle a perdu la vue à l'âge de huit ans). Elle poursuit l'expérience pour le bien de son mari, scientifique passionné et obsessionnel, mais cela lui est physiquement et émotionnellement épuisant. Cela devient tellement insupportable qu’elle décide d’en mourir. Les souvenirs que lui rappellent ces images lui rappellent l’ont tué. Pendant ce temps, durant la nuit claire et étoilée de la Saint-Sylvestre, les membres du groupe célèbrent en musique et en dansant la neutralisation du satellite nucléaire et la survie de la vie sur terre.

Le Dr Farber refuse de prendre le temps pour faire son deuil, malgré l’insistance son frère autochtone Peter (Jimmy Littl). Il reprend ses expériences avec sa caméra. Sa nouvelle recherche se centre sur l'enregistrement des rêves. Les membres autochtones de l'équipe scientifique rejettent catégoriquement cette idée et refusent d'y participer. Ils reconnaissent les implications coloniales violentes d'un appareil qui peut s'immiscer dans leurs souvenirs et visions privés et les capturer, ainsi que son potentiel à produire de nouveaux modes d'exploitation. Peter proteste auprès du Dr Farber : "Imaginez ce que vous pourriez accrocher sur vos murs à la place des peintures de mon peuple. Vous pourriez exposer ce qu’il y a dans nos têtes, nos rêves, nos secrets et les savoir de nos anciens." Le Dr Farber s’était mis à dos son équipe et toute la communauté décide donc de partir. Seuls Claire, Sam et un autre membre blanc de l'équipe scientifique, Karl, restent avec le Dr Farber. Eugène s'installe dans une station de radio abandonnée afin de terminer son roman.

Le deuxième acte du film me hante depuis des décennies. Le Dr Farber réussit à enregistrer des rêves, les siens, ceux de Claire et ceux de Sam. Ces rêves sont des souvenirs, ce que Virginia Woolf appelle les "moments d'être", "l'échafaudage en arrière-plan", "la partie invisible et silencieuse". Ces moments nous façonnent, font de nous ce que nous sommes, mais sont souvent oubliés car submergés ou inconscients. Cependant, comme l'écrit Woolf, "à certains moments, les souvenirs de ce que l'on a oublié, remontent à la surface". Je me demande souvent si les choses que nous avons ressenties avec une grande intensité gardent une existence indépendante de notre esprit, qu'elles soient en fait toujours présentes ? Et si c'est le cas, ne sera-t-il pas possible, avec le temps, qu'un appareil soit inventé pour nous permettre de les capter ? L'appareil photo du Dr Farber est précisément le type de machine que Woolf envisageait en 1939, au seuil de la Seconde Guerre mondiale, anticipant peut-être l’oubli massif qui s’installe et se précipite après la guerre. Cet oubli nécessaire parce que qui tolérait d’autres guerres ayant un souvenir intact de la guerre (dans le cas de la génération de Woolf, de la Première Guerre mondiale) ? Précipité parce qu'après la destruction militaire et le traumatisme, l'oubli devient une forme de protection, un baume nécessaire.

L'appareil photo du Dr Farber, conservateur de souvenirs privés, n'est pas le miracle qu'il semble être. Claire et Sam se perdent dans des fragments de leur passé personnel. Ils s'isolent en regardant et revivant des scènes de leurs rêves, saccadées, numérisées, vagues, sur des écrans individuels précurseurs de nos appareils du XXIe siècle. Ils continuèrent ainsi pendant un certain temps et, sans l'intervention d'Eugène, l'ex de Claire, et de David (David Gulpili), le frère indigène de Sam, ils auraient probablement fini comme Edith, en choisissant la mort. L'avertissement du film est clair : le souvenir solipsiste est autodestructeur et, lorsqu'il est amélioré par la technologie, potentiellement fatal. Autrement dit, certaines formes d'oubli sont nécessaires à la survie.

Contrairement à l’appareil photo visuel et à la machine à mémoire du Dr Farber, le peuple Mbantua, menacé d'anéantissement nucléaire (non pas le seul dont il est menacé) s'efforce de transmettre des histoires sacrées et des connaissances culturelles traditionnelles à ses enfants par l'intermédiaire des Songlines. Alors que le Dr Farber utilise sa caméra pour transmettre à sa femme des visions neurologiques enregistrées (un processus isolant et douloureux, auquel sa sœur indigène, Maisie Mbatchana (Justine Saunders), s'est fermement opposée dès le départ), le peuple Mbantua se réunit pour partager ses archives mémorielles, son Temps du rêve. Le contraste entre les deux processus est saisissant : l'un mène à la mort, l'autre à la préservation de la vie par le biais de souvenirs et d'expériences partagés. Les Mbantua refusent que le Dr Farber pénètre, expose et préserve numériquement leurs rêves. Ils n'ont ni besoin ni envie de son appareil pour se souvenir, même au prix de l'oubli.

Je n’étais pas prêt à intérioriser cela lorsque j'ai regardé pour la première fois Jusqu'à la fin du monde. Faisant face aux détritus d'un Koweït post-invasion et les séquelles d'un bombardement télévisé en direct de l'Irak, le premier d'une longue série dans cette région, la machine à souvenirs du Dr Farber m'a semblé indispensable. Je voulais retrouver mon enfance sans peur, un Koweït intact et un pays moins hyperréaliste. Dix ans plus tard, en 2001, j'ai perdu ma mère. À l'époque, j'aurais payé n'importe quel prix pour cette machine, pour retrouver des souvenirs d'elle effacés, oubliés, submergés. J'aurais volontiers sacrifié le présent pour m'évader dans un passé obscurci par le passage ordinaire du temps. J'aurais fait n'importe quoi pour rassembler ces images disparues, jusqu'à la folie, dans le trou noir de la mort. N'ayant pas le dispositif du Dr Farber, j'ai utilisé l'écriture pour créer ma propre machine à souvenirs, sondant les profondeurs d'un passé que je n'étais pas prêt à laisser partir.


On nous a beaucoup dit "n'oubliez jamais" et "ne recommencez jamais” suite au génocide des Juifs par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale. On ne peut cependant nier que l'un des résultats de ce "ne jamais oublier" a été la construction d'un État colonial insoutenable, peuplé de psychopathes et de sociopathes déterminés à faire aux autochtones de la terre occupée de Palestine ce qui leur a été fait avec tant de brutalité. Ne jamais oublier a déclenché une destruction massive inhumaine. L'oubli, au moins en partie, aurait pu rendre possible une autre issue, peut-être plus pacifique, celle qui, à ce stade du génocide, a été rendue impossible. Le mot amnistie vient du grecque classique amnestisqui veut dire "ne pas se souvenir". La Palestine en tant que lieu d'amnistie est ce qui aurait pu être sans la tyrannie du souvenir sioniste.

Le souvenir involontaire peut être un marqueur du syndrome de stress post-traumatique : les images non sollicitées qui viennent inonder sans cesse la conscience. Dans cet état, choisir ou apprendre à oublier peut-être quelque chose de sain pour lâcher-prise afin de profiter du présent et de l'avenir. Selon Freud, le deuil serait un exemple sain de choix d'oubli : d'abord, en identifiant consciemment le chagrin pour un objet d'amour perdu ; ensuite, en travaillant sur ce chagrin ; et enfin, en laissant activement le chagrin s'en aller. La mélancolie, en revanche, est l'alternative plus ambiguë et obsessionnelle du deuil. L'objet de l'amour perdu est moins défini, ce qui complique le processus d'abandon. Le chagrin sans limites, est ancré dans l'inconscient et persiste jusqu'à devenir pathologique. La mélancolie pourrait être considérée comme une version de la mémoire malsaine, celle qui est facilitée par le dispositif de rêve du Dr Henry Farber, celle qui a entraîné le carnage de Gaza.

À l'autre extrémité du spectre de la mémoire se trouve l'oubli involontaire provoqué par le vieillissement, une série de démences pernicieuses dérobant aux malades le temps, la mémoire, le langage et, en fin de compte, la vie elle-même. J'ai été témoin de l'effacement par la maladie d'Alzheimer des souvenirs de Palestine de mon beau-père, qui sont restés vifs et présents pour ses enfants, jusqu'à ce qu'un jour, ces souvenirs s'évaporent dans l'éther des choses oubliées. Je témoigne aujourd'hui de la lutte de mon propre père pour conserver les souvenirs de son mariage de trente ans avec ma mère, en comptant sur les conversations avec moi et mes sœurs pour lui rappeler des détails qui, autrement, auraient pu disparaître. (Mon beau-père et mon père ont tous deux écrit leurs mémoires, utilisant les mots pour conserver le plus longtemps possible leurs souvenirs qui se désagrègent. L'écriture utilisée comme un rempart contre l'oubli, comme une tentative de préserver un résidu de ce qu'ils ont été, s'avère finalement peu utile pour eux, mais pour ceux qu'ils laissent derrière eux, elle offre un réconfort partiel. Ils ont fait de l'écriture, l'archive de la mémoire à laquelle j'ai toujours fait confiance.)

La notion de mémoire involontaire de Proust se situe entre les débris d'une mémoire implacable et les chagrins d'un oubli involontaire. La compréhension de la mémoire involontaire de Proust commence, paradoxalement, par l'oubli. Le passé doit être oublié (temps perdu) pour être rappelé (retrouvé) par le biais d'un événement fortuit et de la sensation qu'un tel événement peut déclencher. Le goût de la madeleine trempée dans le thé ouvre à Proust un monde de souvenirs d'enfance, mais d'autres moments aléatoires sont tout aussi évocateurs : l'odeur de renfermé des toilettes, se trébucher sur des pavés, le bruit d'un domestique avec une cuillère, la sensation d'une serviette sur la bouche, entre autres. Les souvenirs involontaires (les moments d'être de Woolf) que ces événements évoquent deviennent, pour Proust (comme pour Woolf), une source inimitable de créativité. L'écriture, qui unit des moments et des lieux à travers le paysage de rêve de l'oubli et du souvenir, permet une connexion autrement improbable entre les écrivains et les lecteurs. Comme l'explique Proust, "au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous voyons ce monde se multiplier et nous avons à notre disposition autant de mondes qu'il y a d'artistes originaux". Contre la militarisation de la mémoire traumatique, d'une part, ou l'oubli provoqué par la malchance biologique, d'autre part, Proust propose la communion par l'art.


En mars dernier, j'ai regardé pour la première fois la version du réalisateur de Jusqu'à la fin du monde. La version originale de 158 minutes que j'avais visionnée au début des années 90 a été allongée à 287 minutes, que j'ai regardées en une seule fois. L'expérience s'est superposée à mes souvenirs de la version plus courte, ainsi qu'aux souvenirs de cette période de ma vie. J'ai essayé de m'immerger dans le rythme plus lent et le déroulement plus élaboré de la version plus longue, afin de rester dans le présent. La bande sonore du film, qui était la bande sonore de ma vie au cours de la première moitié de l'année 1992, m'a rendu la tâche difficile. (On peut dire que la musique est la plus puissante de toutes les archives de la mémoire, comme le suggère le film lui-même). Lorsque je l'ai regardé pour la première fois, j'étais à l'aube de l'âge adulte et ma mère était encore en vie. Aujourd'hui, ma mère est morte, mon père est vieux et fragile, et moi, comme tout le monde, j'ai été témoin d'un génocide. À la fin des cinq heures de projection, je pleure de manière incontrôlable.

Cette fois-ci, au moment de l'enregistrement des rêves, je me range du côté du peuple Mbantua. Le type de souvenir qui m'attirait au début de la vingtaine est, je le crois maintenant, une pathologie, une dépendance, une excuse pour la violence génocidaire. Ce qui attire plutôt mon attention, ce sont les riches expressions de parenté, d'amitié et de loyauté, les liens créés en travaillant, en voyageant et en faisant de la musique ensemble, et en se sauvant les uns les autres. Les souvenirs personnels peuvent s'éroder, mais les souvenirs communautaires persistent, même les souvenirs singuliers et intimes. Ce qui sauve Claire, ce qui la sort de sa dépendance à la machine à rêves, c'est d'abord la loyauté et l'amitié de son ex, Eugène, ainsi que le fait qu’il partage avec elle le manuscrit de son roman. Se lire sous forme de récit, une mémoire archivée par écrit qui la reliera aux autres, même quand elle aura disparu, est ce qu'il faut pour la libérer. Son roman s'intitule Dance Around the Planet, une description pertinente de ce qu'a toujours été la vie sur terre.

Dans la scène finale, Claire flotte dans un laboratoire spatial, souriante, tandis qu'elle reçoit des appels vidéo de ses amis de voyage lui souhaitant un joyeux trentième anniversaire. Son travail consiste à surveiller nos océans pour détecter les crimes de pollution. Son changement de perspective, du personnel au planétaire, est un changement dont l'exigence est encore plus forte aujourd'hui qu'en 1991. Les peuples indigènes continuent de rechercher la justice et la libération ; les forêts et les pneus brûlent dans les incendies annuels de l'été ; le fascisme et le racisme montent à nouveau en puissance ; et un génocide est sanctionné par les nations les plus puissantes de la planète. La survie exige une vision, quelque chose qui prenne la forme d'un rêve à moitié rappelé, à moitié oublié. Un rêve à moitié oublié pour ne pas répéter les horreurs du passé. À moitié oublié afin de laisser la place à de nouvelles façons de se soucier des autres, de se connecter et d'être humain dans le présent pour préserver notre avenir. Comme le dit Eugène, l'écrivain, "il est de notre devoir de réaliser l'avenir avec notre imagination". C'est ainsi que nous écrivons Jusqu'à la fin du monde, comme un acte de mémoire et d'oubli, ajoutant aux archives de la mémoire vivante contre la marche de la mort.

 

Mai Al-Nakib est née au Koweït et a passé les six premières années de sa vie à Londres, Édimbourg et Saint-Louis, dans le Missouri. Elle est titulaire d'un doctorat en littérature anglaise de l'université de Brown. Elle a été professeur associé d'anglais et de littérature comparée à l'université du Koweït, où elle a enseigné pendant vingt ans ; elle a récemment quitté ce poste pour écrire à plein temps. Ses recherches portent sur les politiques culturelles au Moyen-Orient, avec un accent particulier sur le genre, le cosmopolitisme et les questions postcoloniales. Son recueil de nouvelles, La lumière cachée des objetsa été publié par Bloomsbury en 2014. Il a remporté le prix du premier livre du Festival international du livre d'Édimbourg. Son premier roman , An Unlasting Homepublié par Mariner Books aux États-Unis et Saqi au Royaume-Uni, est sorti en livre de poche en avril 2023. Ses nouvelles et ses essais ont été publiés dans diverses revues, dont Ninth Letter; The First Line; Après la pause; La littérature mondiale aujourd'hui; Rowayat; New Lines Magazine; et le BBC World Service. Elle partage son temps entre le Koweït et la Grèce.

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