Une décapitation pour le Prophète alors que la France fait le point

26 octobre, 2020 -
L'hôtel de ville de Montpellier projette des images de l'instituteur Samuel Paty assassiné et des dessins satiriques qu'il partageait avec ses élèves (Photo : Vincent Pereira/Midi-Libre)
L'hôtel de ville de Montpellier projette des images de l'instituteur Samuel Paty assassiné et des dessins satiriques qu'il partageait avec ses élèves (Photo : Vincent Pereira/Midi-Libre)

 

 

Jordan Elgrably

 

La France et ses musulmans sont à couteaux tirés à cause de l'horrible décapitation de l'instituteur Samuel Paty et de la réaction nationale, qui a mis l'Islam en alerte.

Le 16 octobre, Paty a été coincé devant son école à Conflans, en banlieue parisienne. Il a été décapité par un musulman tchétchène de 18 ans qui suivait une fatwa condamnant Paty pour avoir exposé des caricatures satiriques du Prophète dans un cours sur la liberté d'expression.

Quelques jours plus tard, deux femmes en hijab près de la Tour Eiffel auraient été poignardées par deux Françaises criant des épithètes, notamment "sales Arabes".

Dimanche, des appels à l'incendie de la mosquée Ar-Rahma de Béziers ont été lancés sur Facebook et la police a mis en place une sécurité autour de celle-ci.

Comme l'a noté aujourd'hui James McAuley du Washington Post, "Dans la semaine qui a suivi l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine en banlieue parisienne, le gouvernement Macron a ordonné une répression des organisations musulmanes qu'il accuse de fomenter la violence terroriste, et a défendu les caricatures de Mahomet comme étant emblématiques des valeurs françaises de laïcité et de liberté d'expression, même si elles sont profondément offensantes pour de nombreux citoyens musulmans de France, parmi les plus grandes populations minoritaires".

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La France abrite la plus grande population musulmane d'Europe et entretient des relations parfois tendues avec les anciennes colonies telles que le Liban, l'Algérie, la Tunisie et le Maroc.

 

Samuel Paty était un professeur de collège de 47 ans qui avait cherché à suivre une formation de sensibilisation pour en savoir plus sur l'Islam et ses élèves musulmans. Avec un certain nombre de collègues partageant ses idées, il a passé la journée du 7 novembre 2019 à l'Institut du Monde Arabe à Paris, où il a fait forte impression sur le personnel de l'Institut. Sur une page commémorative consacrée à Paty sur le site web de l'institut, ils écrivent : "L'équipe de l'IMA se souvient d'un homme qui était passionné et plein de questions sur le monde arabe. Suite à sa visite en janvier 2020, il avait demandé la visite d'un de nos animateurs dans son collège pour présenter à ses étudiants un concert éducatif mêlant la musique arabo-andalouse du Maghreb et la musique des troubadours du XIIIe siècle en France". 

 

Pourquoi repousser les limites ? 

 

Nous savons comment les radicaux islamiques ont réagi aux caricatures satiriques de l'hebdomadaire français Charlie Hebdo lorsqu'ils ont tiré sur les bureaux du magazine en janvier 2015, tuant 12 personnes et en blessant 11 autres. Ils ont continué leur déchaînement dans ce qui allait devenir le 11 septembre en France lorsque, quelques mois plus tard, 130 personnes ont été tuées au Théâtre Bataclan et dans d'autres lieux de Paris.

 

La question qui se pose est la suivante : pourquoi les personnes travaillant dans les médias français continuent-elles à se comporter avec une telle insensibilité - pourquoi poursuivent-elles des attaques satiriques obstinées contre l'Islam en choisissant de représenter le Prophète de manière négative, ou de le représenter tout court ? On peut se demander comment les évangéliques américains réagiraient à des représentations pornographiques de Jésus ? Les Juifs se contenteraient-ils d'accepter que des caricatures d'Abraham ou de Moïse représentent des fanatiques nus ?

 

Plus précisément, quel est le sens de la satire des figures religieuses sacrées, si ce que vous voulez faire est d'ouvrir un dialogue critique sur une religion particulière ?

 

On peut soutenir que la liberté d'expression inclut le droit de critiquer les dogmes religieux et de piquer des vaches sacrées, mais il semble provocateur de continuer les salves satiriques sur le Prophète Mahomet alors qu'elles ont engendré des fatwas et des attaques terroristes qui ont tué des centaines de personnes à travers l'Europe.

 

Afin de jeter de l'huile sur le feu, dans le cadre des cérémonies de deuil de Paty, les maires de Toulouse et de Montpellier, en collaboration avec le gouvernement de Paris, ont projeté un portrait de Samuel Paty ainsi que des caricatures du Prophète sur leurs mairies. Parmi elles, des caricatures que Paty avait montrées à ses étudiants, publiées en couverture ou à l'intérieur de Charlie Hebdo, comprenant l'image du Prophète avec un rabbin et la légende "il ne faut pas se moquer" ou "ne pas se moquer de".

Nous ne céderons pas, jamais.
Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n'acceptons pas les discours de haine et défendons le débat raisonnable. Nous serons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles.

- Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 25 octobre 2020

En ce moment, une pression importante s'exerce sur les musulmans français, qui, une fois de plus, se font accuser de l'extrémisme radical d'un musulman indigné, mais demandez-vous si les blancs aux États-Unis se sentent obligés de s'excuser chaque fois qu'un suprémaciste blanc tire sur une synagogue ou une église noire. Pourquoi le plus grand nombre devrait-il s'excuser pour les crimes de quelques-uns ; pourquoi une religion ou une race entière devrait-elle être le bouc émissaire ? L'humanité a trop souvent emprunté cette voie dans le passé pour ne pas avoir appris ces dures leçons.

 

Certains disent que la rhétorique enflammée de Macron contre l'Islam en Europe attise les flammes de l'intolérance, mais le président Français a creusé l'écart ce week-end. "Nous ne céderons pas, jamais", a tweeté Macron. "Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n'acceptons pas les discours de haine et nous défendons un débat raisonnable. Nous serons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles."

L'hostilité de l'Europe envers les musulmans et les efforts pour les "discipliner" sont indissociables de l'hostilité de plus en plus répandue envers l'Islam, la Turquie et notre président Recep Tayyip Erdoğan.

- Fahrettin Altun (@fahrettinaltun) 25 octobre 2020

 

Mais les tensions entre le gouvernement français et la communauté musulmane continuent de s'intensifier. Après que le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a, non seulement demandé la fermeture d'un certain nombre d'associations caritatives Islamiques et d'associations anti-islamophobes, mais a suggéré qu'il aimerait supprimer les rayons d'aliments ethniques arabes des supermarchés français, des boycotts de produits français ont été déclarés au Koweït, en Jordanie et en Arabie Saoudite. Où tout cela va-t-il s'arrêter ?

 

Pour aggraver les choses, au cours du week-end, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré que Macron avait besoin de voir un psy pour ses remarques malencontreuses sur l'Islam après la décapitation de Paty. (L'année dernière, Erdoğan avait qualifié Macron de "décérébré" en réponse aux remarques de ce dernier sur l'OTAN). Écrivant dans Le Point, le pundit français Luc de Barochez note que "l'antagonisme brûlant franco-turc prouve que la lutte contre l'islam radical en France ne peut être détachée de son contexte international." Pendant ce temps, la directrice de la communication de la Turquie, Fahrettin Altun, tweete : "L'Europe est un endroit de plus en plus dangereux pour les musulmans. La politique de dénigrement des caricatures offensantes, les accusations de séparatisme contre les musulmans et les descentes dans les mosquées ne concernent pas la liberté d'expression." Il ajoute : "L'hostilité de l'Europe envers les musulmans et les efforts pour les "discipliner" sont indissociables de l'hostilité de plus en plus répandue envers l'islam, la Turquie et notre président Recep Tayyip Erdoğan."

 

Pour revenir un instant à la décapitation de Samuel Paty, son agresseur, Abdoullakh Anzorov, a été amené de Tchétchénie en France par son père lorsqu'il avait six ans. Cela signifie que la quasi-totalité de son éducation s'est déroulée dans le système scolaire public français, qui met l'accent sur la laïcité. Comment s'est-il radicalisé à ce point, se demande Anass Kassem, un musulman syrien agnostique qui vit à Montpellier depuis 2005. "Le père d'Anzorov serait un réfugié russe soi-disant persécuté parce qu'il est musulman par les Russes. La France leur donne donc un abri et une protection, une éducation laïque gratuite pour son fils et pourtant il coupe la tête du pauvre professeur - à qui la faute ? Est-ce la faute des Russes ? du système français ? des Américains qui ont aidé et soutenu les rebelles tchétchènes afin de contrecarrer les Russes ? Ou est-ce seulement la faute de l'Islam ?"  

 

Malgré tout, vendredi, le Koweït a annoncé son boycott des produits français, car une campagne de médias sociaux contre la France s'est propagée dans le monde arabe. Deux jours plus tard, selon Reuters, en "Arabie Saoudite, la plus grande économie du monde arabe, un hashtag appelant au boycott du distributeur français de supermarchés Carrefour était la deuxième tendance du dimanche". Les produits français sortent également des rayons en Jordanie et au Qatar. 

Un supermarché koweïtien retire les produits français de ses rayons.
 
L'intrigue s'épaissit

 

L'incendiaire franco-marocaine Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo qui couvrait l'islam et qui se décrit comme athée, continue de recevoir des menaces de mort pour avoir constamment critiqué l'islam. Elle quitte son domicile parisien sous protection armée. Après que le ministre de l'Intérieur Gérald Darminin a déclaré qu'il prévoyait de fermer le Collectif contre l'islamophobie (CCIF) pour avoir apporté son soutien aux extrémistes musulmans français, Zineb El Rhazoui s'est exprimée sur TF1, déclarant qu'elle se réservait le droit de critiquer l'islam ou les radicaux islamiques sans être traitée de "raciste", ce qui, selon elle, est la façon dont le CCIF définit son opposition à toute personne qui critique l'islam.

 

Selon elle, le CCIF, "fleuron de l'arsenal islamiste en France, milite depuis des années contre un 'délit' qui n'en est pas un en droit français ; je veux parler de cette imposture sémantique appelée 'islamophobie'. La tactique du CCIF est de se placer sous la bannière de la lutte contre le racisme, dont la définition est encadrée par la loi, afin de bénéficier des mêmes protections juridiques. Toute personne qui critique l'islam est automatiquement traitée de raciste, un chantage juridique qu'il est grand temps de rendre inopérant."

Grâce à une propagande islamiste éhontée, relayée de manière criminelle par les grands médias anglo-saxons tels que le @washingtonpost et le @nytimes, les fatwas contre la liberté d'expression en France se multiplient dans certaines régions du monde musulman#TerrorAccomplies https://t.co/qbARnfRIyn

- Zineb El Rhazoui (@ZinebElRhazoui) 25 octobre 2020

 

Selon El Rhazoui, qualifier de "racistes" les critiques de l'Islam revient à qualifier d'"antisémites" les partisans du mouvement de Boycott et Désinvestissement des Sanctions contre le système d'apartheid israélien pour les Palestiniens. N'étant pas du genre à tirer ses coups, dimanche, El Rhazoui a critiqué les médias américains. Elle a tweeté : "Grâce à une propagande islamiste éhontée, relayée de manière criminelle au premier degré par les grands médias anglo-saxons tels que le @washingtonpost et le @nytimes, les fatwas contre la liberté d'expression en France se multiplient dans certaines parties du monde musulman".

 

En France, d'autres personnes qui s'efforcent de réparer les pots cassés ou de jeter des ponts entre les musulmans et la population en général font l'objet d'une surveillance accrue, et certaines ont reçu des menaces de mort, tant de la part de la droite française que d'extrémistes islamiques. L'anthropologue Dounia Bouzar, auteur de " Les tentations de l'extrémisme", affirme qu'elle a consacré sa vie à renforcer les relations entre les musulmans et les non-musulmans, mais qu'elle a été traitée d'une part d'"islamo-collaboratrice" et d'autre part de traître à l'islam, la religion de son père algérien.

 

Il est certain qu'à mesure que la température monte parmi les Français et les musulmans français (sans parler des musulmans du monde entier), les organisations artistiques qui se consacrent à la promotion de l'entente interculturelle, comme l'Institut du Monde Arabe à Paris et le Festival Arabesques à Montpellier, auront vraiment du pain sur la planche.

 

Jordan Elgrably est un écrivain et traducteur américain, français et marocain dont les récits et la textes créatifs ont été publiés dans de nombreuses anthologies et revues, comme Apulée, Salmagundi et la Paris Review. Rédacteur en chef et fondateur de The Markaz Review, il est cofondateur et ancien directeur du Levantine Cultural Center/The Markaz à Los Angeles (2001-2020). Il est l'éditeur de Stories From the Center of the World : New Middle East Fiction (City Lights, 2024). Basé à Montpellier, en France, et en Californie, il écrit sur Twitter @JordanElgrably.

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