Pas oubliés, pas (tous) effacés : Les sanctuaires sacrés de Palestine

3 mai 2024 -
Un patrimoine volontairement effacé depuis la Nakba de 1948.

 

Gabriel Polley

 

Peu de temps après être descendus duservice (moyen de transport jaune vif qui servent de navette aux Palestiniens sans voiture) dans le village de Deir Ghassaneh, nous avons été accostés par un garçon qui patrouillait seul dans les rues, qui étaient désertes. Il voulait savoir ce que mon compagnon de voyage et moi-même faisions dans son village, niché au milieu des montagnes et des vallées plantées d'oliviers du nord de la Cisjordanie, bien loin des sentiers battus de la plupart des touristes. "Al-Khawwas ?" a-t-il répondu, un peu incrédule, lorsque nous lui avons demandé notre chemin. "C'est par là", a-t-il indiqué en inclinant la tête.

Nous l'avons remercié et avons commencé à marcher. C'était le début de l'automne et le soleil de midi était toujours aussi chaud qu’en été. Mais au centre du village, les allées ombragées entre les demeures médiévales construites par le clan Barghouthi gardaient une certaine fraicheur.

Deir Ghassaneh : la route d'al-Khawwas, visible derrière le poste de police au sommet de la colline. Le maqam en dôme utilisé pour le stockage des produits agricoles est plus proche du point de vue.

La chaleur augmentait au fur et à mesure que nous nous dirigions vers l'ouest, le long d'une route poussiéreuse entre des maisons de plain-pied construites pendant les occupations britannique et jordanienne, entrecoupées par des bougainvilliers violets, des vergers de grenadiers et des bosquets d'oliviers, observateurs muets de l’histoire et des différents occupants de la Palestine. Derrière le chemin qui s’élève vers le sommet d'une colline, se trouvait une bâtisse faite de blocs de pierre taillés et de deux dômes jumeaux recouverts d'un plâtre d'un rose délavé. C'était le sanctuaire, oumaqam, d'al-Khawwas.

Le mot maqam , qui dérive de la racine arabe qam, signifie lieu. Un lieu particulier considéré comme sacré en raison de son association avec un saint, qui l’aurait choisi comme lieu de retraite spirituelle, ou alors il y serait enterré. De la même racine vient le mot maqam, qui désigne les modes mélodiques dans la musique arabe. Le maqam de Palestine fait partie d'un patrimoine qui a été délibérément effacé depuis la Nakba et le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948. La Palestine arabe a été remplacée par l'État juif d'Israël ou la "Terre sainte", un ensemble de sites sacrés à Jérusalem, Bethléem et en Galilée. La bande de Gaza et la Cisjordanie sont devenus des lieux de souffrance et de brutalité plutôt que d'humanité et de rejet de l'oppression. Qui aujourd'hui, en entendant les mots Palestine ou Terre sainte, pense à d'anciens sanctuaires sur des collines sereines ?

Comme c'est souvent le cas en Palestine, le nouveau se mélange avec l'ancien : le poste de police de Deir Ghassaneh, qui appartient à l'Autorité palestinienne, se trouve juste en dessous du sommet du maqam d'al-Khawwas. Il y a un petit parc autour du maqam et un panneau qui fait allusion aux accords d’Oslo des années 1990 et le « processus de paix » qui n’a fait qu’ancrer l’occupation. Un silence presque étrange régnait au sommet de la colline ainsi qu’un doux sifflement du vent le long des vallées profondes et ses terrasses d'oliviers vert argenté.

À l'entrée du parc se trouve un mémorial dédié aux habitants de Deir Ghassaneh tombés dans la lutte pour la liberté de la Palestine. Les lieux et les dates de leur martyre révèlent l'histoire du mouvement : de la Jordanie à la fin des années 1960 et au début des années 1970, alors que l'Organisation de libération de la Palestine menait une lutte armée contre l'État d'Israël et le Royaume hachémite de Jordanie ; au Liban en 1978, lors de la première occupation israélienne du sud du pays ; puis à Deir Ghassaneh même à la fin des années 1980 et dans les années 2000, lorsque la bande de Gaza et la Cisjordanie se sont soulevées lors de la première et de la deuxième Intifada. Site du patrimoine spirituel palestinien et du pèlerinage religieux, la ziyara est devenue un lieu de visite et de commémoration des martyrs de Deir Ghassaneh.

Le monument des martyrs dans le parc d'al-Khawwas avec le maqam derrière, Deir Ghassaneh.
Le monument des martyrs dans le parc d'al-Khawwas avec le maqam derrière, Deir Ghassaneh.

On y trouve également des kiosques avec des pipes à chicha et des chaises à l'ombre d’un cyprès, d'eucalyptus et d'autres arbres résistants à la chaleur. Cela montre qu'il s'agit également d'un lieu où les habitants viennent se détendre durant les agréables soirées d'été. Cependant, le sens spirituel originel du maqam n'a pas été oublié. Un panneau nous informe que le maqam est dédié à :

Cheikh Abu Ishaq Ibrahim ibn Ahmad ibn Ismail Al-khawass al-Samarrai, né à Samarra' et mort à Alray (Irak) en 904 après J.-C. [...] Le nom Khawass est attribué au fait que le cheikh travaillait à la fabrication de paniers et d'outils en osier ou en feuilles de palmier.

Un tapis de prière islamique placé à l'intérieur de la chambre fraîche et tamisée du maqam est un signe que celui-ci est encore utilisé comme espace de dévotion au divin.


En Palestine, de nombreux sanctuaires ont été délibérément effacés ou expropriés. C'est le cas de nombreux maqam démolis par Israël après la Nakba, comme celui où la tête de Hussein, petit-fils du prophète Mohammad, a été enterrée, dans la ville d'Asqalan, au nord de Gaza, d’où les habitants ont été expulsés. Au nord, dans le village détruit de Yibna, se trouve un maqam transformé en site religieux exclusivement juif. Aujourd'hui, dans la ville israélienne de Yavne, le maqam d'Abu Huraira, un compagnon du prophète datant du VIIe siècle, est devenu un lieu de commémoration d’un prêtre juif du Ier siècle Rabban ben Gamliel. "Abandonnés et délabrés", comme l'écrit Walid Khalidi writes, d'autres sanctuaires résistent dans la Palestine historique et "témoignent de villages qui ont aujourd'hui presque disparu".

Seuls quelques-uns restent accessibles en tant que lieux de pratique spirituelle pour les Palestiniens vivant en 48 (terme utilisé pour désigner l'État d'Israël qui a figé le temps au moment de la Nakba). La presse israélienne a tenté d'intégrer les sanctuaires comme faisant "partie intégrante du paysage israélien", héritage des dirigeants étrangers de la Palestine, plutôt que comme d'authentiques expressions spirituelles de la population autochtone qui a survécu au va-et-vient des envahisseurs.

Les sanctuaires sont également menacés dans les territoires occupés par Israël en 1967. Les colonies, les checkpoints et le mur d'apartheid de l'occupation, qui rendent la majeure partie de la Cisjordanie inaccessible aux Palestiniens qui l'habitent, empêche l’accès à au moins de  quarante sanctuaires. Sur des collines autrefois sacrées, les sanctuaires s'effondrent lentement au milieu de colonies exclusivement juives. Les sanctuaires de personnages bibliques, dont la tombe de Jacob à Naplouse et la tombe de Rachel à Bethléem, sont interdits d'accès aux Palestiniens qui vivent à quelques mètres de là. L'armée israélienne facilite les visites de colons abusifs et violents lors des fêtes juives. À Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, un maqam dédié au prophète al-Khidr a été rénové pour devenir un centre culturel. Il fait partie des centaines de sites archéologiques bombardés par Israël depuis octobre.

Pourquoi Israël s'est-il tant préoccupé de détruire ces sanctuaires ou d'en revendiquer l'origine juive contre toute évidence ? Je pense que c'est parce que la propagande sioniste a tenté de désindigéniser les Palestiniens en niant leur lien avec la terre par comparaison avec les Juifs. Le maqam, datant de plusieurs siècles, représente non seulement la présence ininterrompue des Palestiniens sur la terre, mais aussi leur lien spirituel avec elle, en attribuant un caractère sacré non seulement à un groupe de lieux saints, mais aussi à d'innombrables endroits sur toute la longueur et la largeur de la terre. Il montre que le lien des Palestiniens musulmans et chrétiens avec leur pays n'est pas moins important que l'affinité des Juifs avec la Terre sainte, et qu'il a continué à se développer au fil des siècles, au fur et à mesure que des générations de saints et de saintes ont été associés à des lieux dans le paysage. Dans son livre, Mohammedan Saints and Sanctuaries in Palestine (1927), l'ethnographe palestinien Tawfiq Canaan rapporte qu'un peu plus d'un dixième des sanctuaires qu'il a visités étaient dédiés à des femmes : "la plupart d'entre eux ont une certaine importance, 60 % de femmes saintes et seulement 31 % des saints »


Les visiteurs occidentaux qui se rendaient en Palestine s'intéressaient également de près aux sanctuaires. Dans son livre Tent Work in Palestine, Claude Reignier Conder (1848-1910) relate son voyage en Méditerranée orientale dans les années 1870 avec Palestine Exploration Fund, une organisation britannique au sein de laquelle l'obsession des chrétiens évangéliques pour la Terre sainte était en fait liée à un projet colonial secret. "Dans presque tous les villages du pays, écrit-il, on peut voir un petit bâtiment avec un dôme blanchi à la chaux, qui est la chapelle sacrée de l'endroit. S'il s'intéresse aux sanctuaires des personnages bibliques, il considère que ceux qui honorent les saints islamiques ultérieurs (awlia,singulier wali) sont "de peu d'importance". Avec l'arrogance de l'orientaliste occidental, il poursuit en écrivant : "Les histoires habituellement racontées sur les cheikhs ne sont pas intéressantes en elles-mêmes et ne cachent apparemment aucune signification mythologique... Dans l'ensemble, les histoires sont naïves."

En fin de compte, Conder a essayé d'utiliser les sanctuaires pour démontrer la nature statique des sociétés non occidentales et les similitudes supposées des Palestiniens avec leurs ancêtres : "L'adoration de divinités personnelles locales par la paysannerie rappelle fortement l'ancien culte des tribus cananéennes". Étant donné que Conder a par la suite soutenu le mouvement sioniste, on peut raisonnablement supposer que sa vision des sanctuaires a influencé sa conviction de l'infériorité des Palestiniens par rapport aux colons juifs, tout comme dans le récit biblique, les Cananéens ont été supplantés par les Israélites.

Des chercheurs plus récents ont corrigé ces préjugés. James Grehan décrit la culture religieuse du maqam comme "subtile et flexible, ouverte à l'adaptation et à l'invention discrètes, déguisée et légitimée par des références pieuses à la tradition ancestrale (dont l'invocation même est souvent un signe de changement historique)". Par rapport aux conceptions courantes des religions abrahamiques, en particulier de l'islam, qui prévalent aujourd'hui, les sanctuaires ruraux de Palestine évoquent "un champ plus vaste et plus étrange de piété, de croyance et de prière qui jette le doute et la confusion sur toutes nos conceptions conventionnelles de la religion".

Le chercheur le plus étroitement identifié au maqam palestinien est Tawfiq Canaan (1882-1964). La vie de ce médecin arabe chrétien, fasciné par la religion populaire islamique de Palestine, s'étend sur les dernières années de l'Empire ottoman, la Première Guerre mondiale, l'occupation britannique, la Nakba et ses conséquences. L'ouvrage de référence de Canaan, Mohammedan Saints and Sanctuaries in Palestine, contient des descriptions et des analyses de centaines de sanctuaires qu'il a visités et étudiés.

La Palestine qu'il décrit de manière scientifique mais aussi lyrique est celle des arbres et des sources sacrés, souvent hantés par des esprits bienveillants ou malveillants, des chansons chantées par les enfants du village pour implorer le Tout-Puissant de mettre fin aux sécheresses et d'envoyer les pluies saisonnières, et, bien sûr, des sanctuaires, où la ziyara pouvait être faite en sacrifiant un animal ou d'autres produits agricoles en échange d'un enfant tant désiré ou d'un autre élément de bonne fortune. Mais on croyait aussi que c'était là que les fantômes des prophètes et des saints morts depuis longtemps se réunissaient le jeudi soir pour le dhikr (souvenir de Dieu), le son de leurs chants éthérés et l'étrange lumière verte émanant du maqam faisant sursauter les passants tardifs.

Ces croyances, écrit Canaan en 1927, "disparaissent si rapidement qu'avant longtemps la plupart d'entre elles seront oubliées", en raison des "grandes influences que l'Occident exerce sur l'Orient, en raison [...] surtout de l'influence de la puissance mandataire [britannique]".

L'évolution des normes religieuses, résultant principalement du traumatisme social et de la dislocation provoqués par la Nakba et l'occupation israélienne, n'a fait que s'intensifier en Palestine depuis l'écriture de Canaan il y a près d'un siècle. De nombreux sanctuaires ont été presque oubliés. Sur le chemin d'al-Khawwas, sur son sommet solitaire, se trouvait un autre maqam, avec ses deux dômes incomparables et en bon état de conservation (Grehan note qu'il n'y avait pas moins de seize sanctuaires autour de Deir Ghassaneh au début du vingtième siècle). Mais il n'y avait aucune information permettant d'identifier ce maqam ou le wali décédé depuis longtemps qu'il commémore. Il semble qu'il soit aujourd’hui utilisé comme entrepôt par un fermier local.

Un tel destin pour un maqam pourrait être considéré comme relativement chanceux.

Lors d'une visite en Jordanie au début de l'année, à quelques kilomètres de la frontière avec la Palestine occupée, près du célèbre château croisé d'Ajloun, j'ai remarqué un petit panneau indiquant un maqam dédié à al-Khidr, un personnage mystérieux vénéré à la fois par les musulmans et les chrétiens. Deux habitants ont fait une pause en vendant des fraises aux touristes et nous ont guidés à travers des champs débordant de fleurs sauvages, jusqu'à ce que nous nous trouvions devant ce qui restait du maqam. Les tremblements de terre dévastateurs de la région, qui ont eu lieu en 1837 et en 1927, ont réduit le maqam à l'état de ruines. Un olivier élancé, accroché au flanc de la colline, était considéré par les habitants comme l'arbre sacré d'al-Khidr, l'un des traits caractéristiques des sanctuaires tels qu'ils ont été identifiés par Canaan. L'évolution des mentalités religieuses a peut-être fait qu'au moment du tremblement de terre, la réparation du maqam n'était pas une priorité pour les habitants d'Ajloun, mais on se souvenait encore de son emplacement.

Le maqamd'al-Khidr, Ajloun,  en ruine.
Le maqamd'al-Khidr, Ajloun, en ruine.

Toutes ces légendes locales d'al-Khawwas sont une passerelle vers la Palestine fantastique dépeinte par Canaan. Un passager du service de Deir Ghassaneh - un habitant de "D.G." comme il l'appelait - nous a raconté l'histoire suivante. Dans un passé lointain, dit-il, les habitants de Deir Ghassaneh avaient construit collectivement la majeure partie du  maqam, en faisant passer les pierres en ligne depuis le village jusqu'au sommet de la colline. Après avoir achevé la construction des deux dômes à l'est, ils se sont retirés pour une nuit de repos bien méritée. Voyant les efforts et la piété des villageois, les anges décidèrent de les récompenser. Formant une ligne beaucoup plus longue, s'étendant sur vingt miles jusqu'à une carrière près de Jaffa sur la côte méditerranéenne, les êtres célestes transportèrent les pierres. Le lendemain matin, les villageois trouvèrent le dôme occidental achevé.

Aussi fantaisiste que le conte puisse paraître, il est certainement vrai que le point d'observation d'al-Khawwas offre une vue magnifique sur la mer, aujourd'hui cachée par les gratte-ciels de Tel-Aviv, la ville juive qui a pratiquement englouti la Jaffa arabe. Entre Deir Ghassaneh et la mer se trouve le mur d'apartheid israélien. Les Palestiniens peuvent apercevoir la côte, mais c'est tout ce qu'ils ont à faire avec les eaux chaudes de la Méditerranée que les Israéliens considèrent comme acquises.

Des légendes sont également racontées sur un autre maqam que nous avons visité. Al-Qatrawani, situé au nord de la ville de Birzeit, à la fois village chrétien et université, se dresse un peu après un poste de contrôle militaire à l'extérieur du village d'Atara. Encore une fois, la juxtaposition entre les réalités passées et présentes de la terre : la pierre taillée à la main et le ciment mélangé à la maison du maqam de l'architecture indigène, contre les barrages routiers en béton du point de contrôle, la tour de guet préfabriquée et la clôture en fil de fer barbelé, qui font partie de ce que Eyal Weizman, de Forensic Architecture, appelle "un système territorial complet dont le principal objectif est de dominer et de gérer la vie des Palestiniens".

Le maqam d'al-Qatrawani et son arbre sacré, Atara.
Le maqam d'al-Qatrawani et son arbre sacré, Atara.

Comme l'écrit Canaan,

[Le wali] el-Qatrawani vivait dans le village de Qatrah, au nord de Gaza. Selon une version de l'histoire, il quitta son village - car il ne pouvait y accomplir ses devoirs religieux - et se rendit dans le lieu isolé de Dahrit Hammudeh, une haute colline située entre Bir Zet et 'Atarah. C'est là qu'il vécut dans la prière et l'auto-mortification. Selon une autre version, lorsque son corps fut transporté pour être enterré, il s'envola et descendit sur la colline, où se trouve aujourd'hui son sanctuaire.

Canaan pensait plus probablement que le nom du maqam provenait d'un monastère byzantin plus ancien dédié à Sainte Katerina. On distingue encore la silhouette d'un bâtiment que le maqam ne masque pas, mais côtoie respectueusement. Cela me rappelle le commentaire de Khalidi  selon lequel "les musulmans palestiniens ont été les plus à l'écoute et les plus respectueux des traditions judaïques et chrétiennes, ne serait-ce que parce qu'ils habitent une terre qui porte l'empreinte indéniable de ces deux religions".

Al-Qatrawani est aujourd’hui entouré d'un agréable parc. Le maqam se trouve sous l'arbre sacré du wali, le térébinthe, niché dans des bosquets de baloot, des chênes de Turquie dont les glands sont entourés de cupules hérissées, qui ressemblent aux dômes du maqam lui-même en miniature. Sur des tables à tréteaux, à l'ombre, les gardiens actuels servent du pain musakhan couvert d'oignons caramélisés et de pignons de pin, arrosé d'huile d'olive piquante infusée de sumac, ainsi que d'autres plats palestiniens succulents, aux visiteurs qui font une ziyara sur le site. La distribution de nourriture fait écho à une autre légende :

Un jour, un homme s'est disputé avec sa femme, si bien qu'il s'est enfui de chez lui et a vécu dans le sanctuaire d'el-Qatrawani. Le  weli lui fournissait sa nourriture quotidienne, en lui ordonnant de ne rien dire. Tant qu'il garderait le secret, il ne serait jamais dans le besoin. Mais s’il en parlait, le weli ne l’aiderai plus.

Les légendes d'al-Qatrawani illustrent la nature subversive du maqam, la raison pour laquelle Israël a cherché à faire oublier les sanctuaires, alors qu'ils restent aimés et respectés par les Palestiniens. Le nom du maqam préserve la mémoire de Qatra, un village dépeuplé et détruit lors de la Nakba ; il fait également écho à un saint chrétien, soulignant les traditions spirituelles ininterrompues suivies par le peuple autochtone de Palestine depuis des millénaires, à travers différentes religions et différents dirigeants. L'image du corps du wali planant librement au-dessus de la terre ne peut qu'entrer en résonance avec le sort des Palestiniens dont les déplacements sont si sévèrement limités par les murs, les colonies et les points de contrôle, comme celui qui se trouve à quelques mètres du maqam. L'histoire de l'homme affamé qui trahit la confiance du wali pourrait être un avertissement pour ceux qui arrivent en tant qu'invités mais piétinent la bonne foi de leurs hôtes. Une parabole de l'histoire moderne de la Palestine.

Intérieur du maqam d'al-Qatrawani.
Intérieur du maqam d'al-Qatrawani.

Le soleil commençait à se coucher, ses rayons dorés donnaient aux bosquets d'al-Qatrawani une lueur éthérée. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi le saint homme de Qatra a choisi cet endroit pour contempler le divin. Dans la chambre du maqam, nous avons trouvé les niches où des jarres d'huile d'olive et des paquets de bougies étaient autrefois offerts au saint, un motif de feuilles de palmier vertes symbolisant la mention de l'arbre dans le Coran, ainsi qu'un scorpion noir de jais qui se faufilait sur le sol, créature vivante parmi les fantômes.

 

Gabriel Polley a obtenu son doctorat en études palestiniennes au Centre européen d'études palestiniennes de l'université d'Exeter, au Royaume-Uni, en 2020, sous la direction du professeur Ilan Pappé et du docteur Nadia Naser-Najjab. Il a précédemment étudié l'histoire de l'art et de la littérature à l'université d'East Anglia, au Royaume-Uni, et les études palestiniennes et arabes à l'université de Birzeit, et a enseigné en Cisjordanie occupée. Il travaille actuellement à Londres dans les secteurs de la traduction et du développement international. Palestine in the Victorian Age est son premier livre.

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